Points de vue sur l’éducation aux images
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Fiche Méthodologie

Fiche pratique : Comment créer un outil d’éducation à l’image ?

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L’éducation aux images n’échappe pas à l’engouement pour le Do It Yourself (DIY), créer des objets par soi-même. Quatre intervenant·e·s nous livrent leurs conseils.

Publié le 24/09/2020, Mis à jour le 26/04/2023

  • Pauline Lebellenger et Mathilde Rebullida qui ont créé le Ring, héritier d’un outil emblématique des débuts du cinéma : le banc-titre multiplan, avec lequel elles animent des ateliers de réalisation en cinéma d’animation.
  • Nicolas Plateau qui a fabriqué les machines à image de la Ciné-Mobile : lanterne magique, thaumatrope, zootrope, phénakistiscope, boîte à relief, praxinoscope, boîtes d’optiques, qu’il utilise dans le cadre d’ateliers autour du pré-cinéma. Il a également conçu des outils et des dispositifs pour le cinéma d’animation.
  • Lola Biard qui a créé, avec Jules Le Bihan, Holophore : un théâtre miniature en bois, un dispositif de tournage avec fond vert et une tablette qui, réunis, permettent de reproduire l’illusion de relief en 3D et de raconter des histoires en hologramme.

Leur.s expérience.s, dans leurs recoupements comme dans leurs divergences, apportent des éléments précieux sur le cheminement à suivre, les questions à se poser, les pièges à éviter. Sans pour autant donner de recettes ou de solutions toutes faites…

Les entretiens ont été menés par Marie Chèvre, chargée de l’éducation aux images pour le Pôle régional d’Occitanie.

 

Pourquoi créer un jeu de toutes pièces ?

Certains désirs, qui sont à l’origine de la création de l’outil, reviennent dans le discours de plusieurs des intervenant·e·s :

  • être autonome : ne plus avoir à emprunter, transporter, rendre etc. des outils mis à disposition par d’autres associations culturelles, ou encore ne plus être tributaire des conditions aléatoires au niveau technique et matériel dans les lieux d’accueil des ateliers.
  • être nomade : pouvoir aller vers différents publics et être « tout terrain » en se déplaçant avec l’outil, notamment en milieu rural.
  • s’adapter à des cadres d’ateliers très différents : être en capacité de répondre à une demande d’initiation en 2h pour une classe de 30 élèves, défi pédagogique que les intervenant·e·s ont bien souvent à relever, tout autant que de développer un atelier dans la durée permettant d’aller beaucoup plus loin, ce désir de mener des projets qualitatifs étant d’ailleurs largement partagé par les intervenant·e·s.
    Dans le même esprit, le Ring et les Machines de la Ciné-Mobile permettent d’aborder toutes sortes de techniques d’animation, de thématiques et de formes cinématographiques. Quant à Holophore, au-delà de la découverte de l’effet de relief et d’autres trucages, il peut être utilisé pour des initiations à la pixilation ou au kamishibaï. Tous ces outils offrent donc la possibilité de s’adapter à des commandes et des contextes très variés : espaces scolaires, animations de rue, festivals, médiathèques, salles de cinéma…

 

Etape n°1 : le pré-projet

Conseil n°1 : s’inscrire dans la pratique

Pour Nicolas Plateau, comme pour Pauline Lebellenger et Mathilde Rebullida, l’idée de créer un outil s’est inscrite dans le prolongement de leur pratique en tant qu’intervenant·e·s. « Nous sommes parties des réalités du terrain, des contraintes et des difficultés rencontrées dans notre pratique, de nos frustrations aussi », racontent Pauline Lebellenger et Mathilde Rebullida ; « pour dessiner un projet qui peut s’inscrire dans la réalité, il nous paraît très important de ne pas partir d’un fantasme ». Les deux créatrices du Ring se sont aussi appuyées sur des expériences vécues avec d’autres outils d’éducation à l’image : le choix d’un outil pensé à hauteur d’enfant ou d’adolescent et qui permette de visualiser simultanément sur grand écran ce qui est en train d’être fabriqué sur le Ring est, par exemple, inspiré de la table Mash up.

La création des trois outils que nous évoquons dans cet article s’est, d’autre part, nourrie des pratiques et des influences des intervenant·e·s dans d’autres disciplines artistiques : art plastique, théâtre, littérature, ainsi que de l’histoire du cinéma lui-même. Bien que cela n’ait pas été intentionnel dans le choix de départ, il s’avère que tous ont un lien avec le pré-cinéma. Ce qui peut témoigner plus généralement de l’importance des héritages et des réinventions dans le processus de création de nouveaux outils.

Conseil n°2 : penser conjointement le fond et la forme

Penser l’outil en lien avec sa pratique, c’est aussi le penser en lien avec la démarche pédagogique qu’on a envie de développer ; dans la fonctionnalité et la matérialité se jouent en effet des questions de sens. Le fond est la forme.

La simplicité apparaît ici comme un élément clef : plus le dispositif matériel est simple, plus l’appréhension de l’objet est facile, tout comme la prise en main des logiciels associés, plus le potentiel d’expérimentation et d’expression est grand. Nicolas Plateau raconte comment les enfants, en s’appropriant les machines de la Ciné-Mobile, en arrivent à proposer des idées étonnantes loin des résultats escomptés et, ce faisant, renouvellent les outils du pré-cinéma, les amènent un peu plus loin que ce pourquoi ils ont été créés. Pour Pauline Lebellenger et Mathilde Rebullida, la simplicité matérielle du Ring permet d’approcher une technique complexe comme l’animation en reprenant de manière ludique ses fondamentaux. Avec quelques bouts de papier découpé, un rond peut se transformer en carré, et la magie opère. Lola Biard, de son côté, raconte comment les publics, grâce à l’accessibilité du dispositif et à l’immédiateté du tourné-monté, s’essayent spontanément à refaire leurs prises de vue, une fois visionnées les premières tentatives, et se mettent à jouer avec la profondeur de champ, à tester de nouveaux effets avec le fond vert etc.

D’un point de vue plus pragmatique, tous les intervenants ont pensé la forme de leurs outils au regard de la praticité. Pour qu’ils puissent être utilisés par les publics, majoritairement jeunes, les créateurs ont porté une attention particulière à la solidité des matériaux et la stabilité des objets, conjuguées à la facilité de manipulation.

Un autre aspect matériel s’avère également très important : le choix des dimensions. Les machines de la Ciné-Mobile et le Ring sont suffisamment grands pour que plusieurs personnes puissent se placer autour afin de permettre une expérience et un travail collectifs, dimension particulièrement importante d’un point de vue pédagogique pour Pauline Lebellenger et Mathilde Rebullida.

La taille et l’ambition des objets comptent de plus pour apporter quelque chose de spectaculaire, pour « chambouler l’espace » et, avec lui, ceux qui l’occupent. Les différents outils, chacun à leur manière, font en effet appel à la part d’enfance et la capacité d’émerveillement de tout un chacun. Cela entre en écho avec un souci esthétique partagé par tous les intervenants. Des vieilles planches et manivelles récupérées par Nicolas Plateau pour donner le cachet de l’ancien à ses machines, au bois de peuplier, choisi pour la douceur de son toucher semblable à celui du papier, dans lequel est fabriqué le petit théâtre d’Holophore, chacun a tenu à ce que l’outil soit beau et soigné afin de susciter l’envie de voir.

Conseil n°3 : ne jamais perdre de vue ses motivations profondes

Au-delà de la simple attraction, et derrière la valeur ajoutée à l’objet, se cache une préoccupation commune à nos quatre intervenant·e·s : celle de redonner une valeur et un statut à l’image. Pour Nicolas Plateau, avec la lanterne magique par exemple, l’image dessinée par les participants sur un support transparent redevient quelque chose de rare et précieux. Elle est conçue comme un support d’imaginaire, un prétexte à raconter une histoire : « ce petit point, là, oui, celui-là : c’est la puce la plus intelligence de la terre », et soudain cette simple image devient une source inépuisable de récits et de fiction. Cette posture du colporteur d’images qui se fait conteur se retrouve dans la version kamishibaï d’Holophore. Pour Pauline Lebellenger et Mathilde Rebullida, dans ce monde du « tout numérique », il est essentiel de renouer avec la fabrication artisanale de l’illusion d’optique ; créer un outil qui passe par la manipulation permet un retour au tangible, à la matérialité du défaut de l’œil et de la persistance rétinienne qui créent la magie.
A l’inverse, pour Lola Biard, reproduire un trucage vieux de plus de cent ans avec une tablette est une manière de donner du sens à cet outil numérique en le détournant et surtout en en suscitant un usage partagé, que ce soit dans le cadre des ateliers ou dans celui du kit en cours d’élaboration pour les particuliers.

 

Etape n°2 : la fabrication

Après la phase de réflexion et de recherche en lien avec ces objectifs, vient celle de l’ingénierie technique et du prototypage. Si Nicolas Plateau s’est auto-suffit à cette étape-là, Pauline Lebellenger, Mathilde Rebullida et Lola Biard ont eu besoin de faire appel à des tiers et d’aller chercher les savoir-faire techniques requis soit chez des personnes de leur entourage, soit au sein d’un Fablab. Toutes décrivent une longue période d’aller-retours entre elles et ces personnes ressources, afin de trouver les meilleurs compromis entre solidité et lourdeur, entre épaisseur et capacité de refléter etc. ; en un mot, entre pragmatisme et imaginaire. Elles soulignent unanimement que la dimension coopérative et la recherche de la complémentarité des compétences se sont avérées essentielles à ce stade.

Pour tou·te·s, la fabrication des outils a été partiellement ou totalement auto-financée. Leurs structures associatives des intervenant·e·s permettent, selon les cas, du co-financement ou un retour sur investissement via la vente d’ateliers.

Etape n°3 : les tests

Enfin, une fois l’outil créé, reste une étape cruciale : le tester, pour repérer ce qui fonctionne bien ou moins bien, afin de faire évoluer la médiation au regard de ces observations. Lola Biard met en garde contre le risque « d’attendre que l’outil soit bien » pour oser le montrer et l’utiliser. Elle insiste sur la richesse des retours des publics, des enseignants, animateurs ou encore d’autres intervenants qui se l’approprient différemment. Ainsi, pour elle comme pour Pauline Lebellenger et Mathilde Rebullida, ces essais sont une nécessité absolue, même s’ils constituent une prise de risque. En effet, il faut faire ses preuves avec ce nouvel outil et cette recherche de légitimité se joue paradoxalement dans un moment de fragilité.

Pauline Lebellenger et Mathilde Rebullida, notent qu’à cet égard, le fait de pouvoir s’appuyer sur un réseau professionnel constitué et des structures avec qui la confiance a déjà été établie peut être un véritable atout. Dans le cas de Lola Biard, c’est le cadre universitaire qui a facilité cette étape en offrant de multiples occasions d’expérimenter l’outil, des accompagnements et en favorisant l’aller-retour entre la pratique et le recul réflexif.

A noter qu’au-delà de cette intense phase de tests, les outils restent bien évidemment en évolution technique et pédagogique, non seulement au fil des rencontres avec les différents publics mais aussi en maintenant une attention aux pratiques développées par d’autres intervenants pour y puiser de l’inspiration.

 

Et après ?

A des degrés différents, tous les intervenants se posent la question de la circulation et de la reproductibilité des outils qu’ils ont créés. Nicolas Plateau va développer et partager une version simple de ses plans de construction (la simplicité, une fois de plus !) pour que d’autres puissent fabriquer leurs propres machines. Pauline Lebellenger, Mathilde Rebullida et Lola Biard partagent l’avis que former d’autres intervenants ainsi que mettre à disposition un manuel d’utilisation ou kit pédagogique seraient une condition sine qua non à la diffusion de l’outil. Pauline Lebellenger et Mathilde Rebullida mènent également une réflexion sur le principe de mutualisation qui favoriserait le développement des expérimentations et ouvrirait à la possibilité d’un catalogage des pratiques autour du Ring.

Pour cela, néanmoins, il paraît indispensable de dépasser l’initiative personnelle, entre autres au niveau du matériel utilisé, et de créer un prototype, peut-être plus léger, dédié à la circulation. Opérer ce changement d’échelle nécessiterait donc des soutiens, celui d’un Pôle régional d’éducation aux images, par exemple, et/ou d’autres structures culturelles ainsi que des moyens financiers.

Par Marie Chèvre, chargée de l’éducation aux images pour le Pôle régional d’Occitanie