Points de vue sur l’éducation aux images
logo sinspirer
Retours d’expériences

Filmer en prison : l’expérience du CEF de Laon

Partager

Au CEF de Laon sont organisés depuis 4 ans des ateliers de pratiques artistiques. Les objectifs sont multiples : leur apprendre le geste cinéma, vivre une expérience commune, (re)valoriser les adolescents.

Publié le 11/01/2017, Mis à jour le 23/02/2023

En continuité de l’article Filmer en prison, filmer la prison que nous publiions il y a quelques semaines, Le Fil des images a souhaité partir à la rencontre des professionnels de l’image qui, d’année en année, partent à la rencontre des détenus et bâtissent avec eux des projets filmiques et artistiques uniques. Parmi eux, Wilfried Jude. Pour la 4ème année consécutive, Wilfried intervient au Centre Educatif Fermé* de Laon au sein d’un atelier de création audiovisuelle.

Comment se déroulent les ateliers ?

Wilfried Jude : Depuis 4 ans, les ateliers se déroulent de manière très condensée, sur 6 jours quasi consécutifs : 3 jours + 3 jours, entrecoupés par un week-end. Nous avons trouvé que cette formule convenait le mieux aux multiples contraintes d’un Centre Educatif Fermé (CEF), où les adolescents sont pris par de multiples obligations : stages, rendez-vous avec le personnel encadrant (psychologue, éducateur spécialisé, professeur…). D’ailleurs, il est vraiment très rare qu’une journée d’atelier ne se déroule sans qu’un adolescent ne doive s’absenter pour quelconque raison. Cela fait partie des contraintes, mais cela rend aussi l’expérience unique et intense.

Quel est le déroulé type d’un atelier ?

Wilfried Jude : J’organise un atelier de la même façon que l’on conçoit un film : écriture, tournage, montage. Les participants, qui se sont à la fois portés volontaires et ont été sélectionnés par l’équipe, en fonction de leurs parcours personnels, pour prendre part à l’expérience, endossent à tour de rôle tous les postes liés à la création du film. Tout le monde, potentiellement, portera la caméra, tout le monde jouera… sauf, si, bien entendu, l’un d’entre eux ne le souhaite pas, et dans ce cas je ne force personne.

Il faut aussi savoir que la loi nous impose de préserver l’anonymat des adolescents (droit à l’oubli) : c’est pourquoi tous portent un masque et seuls leurs prénoms, ou pseudonymes, apparaissent au générique. Lors du dernier atelier (novembre 2016), nous avons décidé de remplacer les masques pour travailler la subjectivité, grâce à l’usage d’une Go Pro.

Plus encore que le jeu, il faut savoir que l’écriture est souvent une phase assez difficile. J’essaie d’y passer très vite, après leur avoir transmis des notions phare du cinéma (qu’est ce qu’un plan, quels sont les métiers du cinéma, combien ça coûte…) et de peu les contraindre pour vite passer à la préparation du tournage. Les thèmes choisis sont souvent les mêmes : braquage, violence… Il y a un effet de contextualisation très fort et je ne souhaite pas discuter leurs choix.

 

Une fois lancés dans le projet, les adolescents sont-ils assidus ?

Wilfried Jude : Les ateliers se déroulent en général très bien, mais il y a parfois des défections : un mandat de dépôt, un problème d’encadrement… De tels soucis déstabilisent les adolescents et mettent souvent en péril le projet. La 1ère année, nous avons eu un problème, à la suite de quoi seuls deux adolescents [sur quatre] ont souhaité poursuivre l’aventure. Le calendrier ayant été complètement bouleversé, nous n’avons pas pu finir le film mais les deux adolescents restants ont eu l’idée de réaliser une bande-annonce avec les images qui avaient été filmées…

Les adolescents participent-ils également au montage du film ?

Wilfried Jude : Oui bien sûr. Ma priorité dans ces ateliers est qu’ils intègrent le “geste du cinéma” et que chacun prenne sa place, prenne la mesure de son rôle et de la responsabilité qu’il a dans ce projet commun et son groupe. Lors du montage, ce sont le plus souvent eux qui prennent la main quand il s’agit de monter leurs séquences. Toutefois, par manque de temps, c’est souvent moi qui assure la partie “technique”. Cela me permet aussi de leur montrer comment on réalise, par exemple, des choses plus complexes comme des effets spéciaux. Ce sont des choses qui les émerveillent, et c’est rassurant, je trouve, que les adolescents, quels qu’ils soient, puissent encore s’émerveiller. Cela donne du sens au travail.

 

Quelles suites sont données à l’atelier ?

Wilfried Jude : Nous organisons tous les ans une restitution en présence de l’ensemble des adolescents présents au CEF et du personnel encadrant, au sein de l’établissement [les contraintes étant trop nombreuses pour organiser une restitution hors les murs]. Outre la diffusion du film, nous essayons de recueillir leurs impressions, leurs ressentis. Ce moment ne suffit pas forcément à libérer la parole, mais, dans le temps, les éducateurs prennent le relais et les retours de l’établissement sont positifs. Les ateliers sont, depuis 4 ans, reconduits d’année en année… ce qui prouve bien que nous ne sommes pas que dans de l’occupationnel mais bien dans une expérience commune de création, qui permet de vivre et de produire quelque chose ensemble.

[*] Un centre éducatif fermé est une structure d’hébergement collectif destinée aux mineurs délinquants multirécidivistes ou multiréitérants de 13 à 18 ans, pour une période de 6 mois renouvelable. Les mineurs placés dans ces centres font l’objet d’une prise en charge renforcée, répartie sur 3 phases : l’accueil-évaluation, la phase d’activités éducatives et pédagogiques intensives et enfin, l’élaboration concrète d’un projet d’insertion sociale et professionnelle.
(Source : Ministère de la Justice)