Points de vue sur l’éducation aux images
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Retours d’expériences

Le ciné-débat en milieu médical : une démarche salutaire

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En Alsace, un pôle de psychiatrie propose depuis 6 ans des séances de ciné-débats. Un formidable outil de médiation, qui permet de verbaliser beaucoup de choses…

Publié le 11/03/2019, Mis à jour le 28/06/2023

Au sein du Fil des images, nous tentons régulièrement de montrer non seulement ce qui participe à la construction d’un regard, d’une culture de l’image, mais aussi ce que l’image et nos outils peuvent permettre dans d’autres contextes, au profit d’autres enjeux. En Alsace, un pôle de psychiatrie propose depuis plusieurs années des séances de ciné-débats. L’enjeu ? Réunir les soignants autour d’un support didactique et leur offrir un cadre de réflexion professionnel amené par la culture. Le RECIT (Réseau Est Cinéma Image et Transmission) les accompagne dans cette démarche, à l’occasion de temps de formations consacrés à la pratique du ciné-débat.

Pour le pôle de psychiatrie ¹, l’organisation des ciné-débats n’est pas une mince affaire. En 6 ans, plus de cinquante films² ont été visionnés. Sans intervention de professionnel.le.s du cinéma, ces visionnages se font au sein de l’institution, et uniquement entre soignant.e.s du pôle. La mixité patient.e.s/soignant.e.s a déjà fait l’objet d’une expérimentation dans un cinéma Art et Essai il y a vingt ans, mais la frontière rendue floue entre réel et imaginaire rendait pour certains psychotiques l’expérience difficile. Il a été ensuite question de privilégier des séquences comme outil thérapeutique, mais les faibles bénéfices tirés ont conduit le projet vers une autre approche, tournée cette fois vers la circulation de la parole professionnelle, au sein d’un service particulièrement engageant.

Une fois par mois environ, un film est donc projeté par les référents de l’activité. Ils ont toute autonomie pour organiser ces séances, et choisissent donc souvent eux-mêmes les œuvres sur lesquelles les débats s’appuieront. Les décisions se prennent sur le court terme, et se basent sur leurs connaissances et leurs recherches. L’objectif étant de libérer la parole, il est important pour le groupe d’entrer en résonance avec l’actualité mondiale ou locale, l’actualité du cinéma évidemment, mais surtout l’actualité des différents services psychiatriques.

Gus Van Sant, Elephant, 2003

C’est dans « La Maison des Ateliers » qu’ils se retrouvent, les mardis ou jeudis après-midi. Cinq adeptes constituent le noyau dur de ce rendez-vous, qui peut fédérer certains jours 20 personnes ou plus. Les chaises de la petite cafétéria de l’unité de soin dédiée aux activités thérapeutiques se resserrent dès 13h45, l’écran se baisse, et vidéoprojecteur et enceintes s’allument. Commencent alors deux heures de film, puis une pause café vient faire la liaison vers les débats prévus jusque 17h.

 

« Un atout précieux que tous entendent bien défendre »

Ces moments, moins institutionnalisés que des réunions de personnel, sont adoubés par l’institution hospitalière. Déjà, ces derniers sont considérés comme des formations professionnelles, et donc comptabilisés dans leur temps de travail. Cette valorisation est un atout précieux que tous entendent bien défendre et réaffirmer à chaque rencontre. Pour répondre aux interrogations sur la légitimité d’une telle démarche auprès des ressources humaines, ils tiennent depuis le premier jour un classeur dans lequel sont compilés le cahier des charges du projet, les références complètes de tous les films, les listes d’émargement des séances, et surtout, les notes de synthèse des débats qui ont eu lieu. Grâce notamment à ces notes de synthèse, il leur est possible de faire valoir le côté indispensable des temps de formation continue.

Toujours en réflexion, les référent.e.s des ciné-débats tentent de trouver les arguments convaincants et rassurants à destination de l’administration. La meilleure réponse apportée aux cadres, cadres supérieurs et médecins du pôle de psychiatrie pour pérenniser ces moments privilégiés réside dans les hypothèses de travail qui y sont élaborées très concrètement. D’expérience, le cinéma constitue pour eux un formidable outil de médiation, un support efficace pour favoriser les échanges et permettre à tous une verbalisation nécessaire autour de la clinique en psychiatrie.

Woody Allen, Blue Jasmine, 2013

Il est vrai, certains films peuvent illustrer des situations très difficiles rencontrées au travail, qui parfois affectent la vie à la maison. Les séances peuvent alors permettre de comprendre ce qui est intriqué entre vie personnelle et vie professionnelle, où l’œuvre cinématographique vient démêler ces différentes prises dans le réel, et apporter un recul nécessaire.

Cette bulle, ce temps de dialogue où la parole est ouverte favorise alors également la compréhension des représentations que chacun se fait sur les différentes problématiques abordées au quotidien. Elle permet la rencontre entre collègues évoluant au sein de services spécifiques et un partage d’expérience essentiel.

La prise de recul permise par la temporalité du cinéma et la distanciation induite par son traitement et son incarnation permettent à ces professionnels de la santé mentale de produire un regard empathique mais éclairé sur des situations alors illustrées par le truchement de l’émotion et de l’affection ; notions qu’ils doivent se garder de déployer sur leur terrain professionnel.

« Le public gagnerait à se diversifier »

Si des soignant.e.s d’hôpitaux de jour et des professionnel.le.s effectuant des visites psychiatriques à domicile sont souvent présents, les séances peinent à faire venir de jeunes infirmier.ère.s, aides soignant.e.s et assistant.e.s sociales. Les rythmes lourds et les périodes de travail denses en sont la principale cause : difficile pour eux de prolonger leur journée engagée à 6h du matin, ou de venir sur un jour de congé quand il arrive enfin. Afin de faciliter l’intégration de plus de jeunes soignant.e.s nouvellement diplômés et de nouveaux arrivants dans les différents services, les référents donnent de plus en plus la main aux participants concernant le choix des films, et tentent de caler les rendez-vous au mieux pour permettre au plus grand nombre de participer.

Œuvrer pour que les séances de ciné-débats soient faites par et pour les soignants est l’axe principal de la démarche initiée au pôle de psychiatrie. En constante réflexion sur elle-même, l’activité aborde de plus en plus profondément le rapport entre conscient et inconscient, signifiant et signifié, et accueillera peut-être bientôt pour des réalisateurs locaux pour parler de leurs intentions.

Par Lucas Malingrëy, coordinateur Passeurs d’Images et Pôle régional d’éducation aux images, Le RECIT

¹ Pour des raisons de confidentialité et de respect de la vie privée, les personnes interrogées ont préféré rester anonymes. Leur prénom et la ville dans laquelle elles travaillent n’ont donc pas été cités.

² Dont : Augustine, Lost hightway, Les bêtes du sud sauvage, Ida L’heure d’été, Faux-semblant, Tel père tel fils, Virgin suicides, Tu seras mon fils, Le vénus à la fourrure, The waether Underground, Un air de famille, Man on the moon, Au revoir là-haut, 8 femmes, Même la pluie, El, Margin call, Brazil, Insider Dietro la vérita, Le voyage de Chihiro, A bord du Darjeeling limited, Oslo 31 août, The wall, Le corbeau, Blue Jasmine, Freaks, Shutter Island, A serious man, Grizzly man, Matrix, Departure, Walk the line, Her, Les vestiges du jour, Whiplash, Mort d’un commis voyageur, La vie des autres, American Beauty, Millenium mambo, Imitation game, Lost in translation, Elephant, The third murder