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Portraits

Portrait d’intervenante : Axelle Schatz

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A Marseille, la réalisatrice Axelle Schatz s’engage auprès d’élèves avec de grandes difficultés d’apprentissage et comportementales. Au travers d’un projet de réalisation de film, elle facilite l’expression des jeunes…

Publié le 19/04/2019, Mis à jour le 10/02/2023

Axelle Schatz intervient dans les quartiers sensibles de Marseille depuis 6 ans. “Ses” élèves sont en Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté (SEGPA), en classe relais et en Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique (ITEP). Une grande majorité d’entre eux ont un lourd bagage familial et social. Tous profitent désormais d’un encadrement scolaire spécifique, après un parcours chaotique où la confiance et le rapport aux autres ont été tout autant éprouvés que le rapport à soi et l’acquisition des savoirs fondamentaux. Dans ce contexte, la mise en place d’un atelier de réalisation est un petit challenge en soi. 

Mon premier souci est de recréer un lien qui a été rompu avec l’école, avec l’adulte, et d’instaurer un climat de confiance, pour qu’ils puissent s’impliquer dans le projet”, explique Axelle Schatz, réalisatrice de documentaires.

En début de séance, je commence par leur diffuser un certain nombre d’extraits de films, ou des images d’archives [ils ont peu l’habitude d’en voir]. On en discute, on écoute les remarques des uns et des autres, on fait ressortir des premières idées, puis on passe à l’écriture. Pour les aider à se lancer, je leur donne un thème et une sorte de “canevas”. Par exemple, je leur demande de commencer par leur texte par “Je me souviens…” [à la manière de Georges Pérec] ou d’écrire en se mettant à la place d’une femme du 20ème siècle. Chacun choisit une année, et doit ensuite décrire leur condition, leur lutte à l’instant T. Autant dire que les garçons ne voient pas trop l’intérêt ! Mais en s’y attelant, ils produisent des textes super, très revendicateurs et égalitaires.”

Pour la réalisatrice, “l’écriture est un media hallucinant. Le processus prend du temps, mais cela leur permet de livrer un certain nombre de choses qui touchent parfois au très intime. Même ceux qui sont bloqués par rapport au “geste” arrivent à produire des choses. Je m’installe à côté d’eux et j’écris sous leur dictée”.

Il y a toujours beaucoup de respect vis-à-vis de ceux qui se livrent

La confiance est le leitmotiv d’Axelle. “Dans le groupe, l’écriture m’aide à créer du lien. Même dans les classes très difficiles, où les élèves sont souvent très durs entre eux, il y a toujours beaucoup de respect vis-à-vis de ceux qui se livrent, qui disent des choses personnelles. Cela leur permet aussi de voir que je suis bienveillante, que leurs professeurs sont bienveillants. Et pourtant rien n’est acquis, car pour ces élèves oser lire un texte devant tout le monde, c’est un énorme défi !”

Outre la confiance, cette étape permet à la réalisatrice de leur montrer qu’un projet de réalisation n’est pas qu’une succession d’étapes techniques, mais que cela exige de donner de soi, de s’exprimer sur des choses. “Une fois qu’ils sont impliqués, c’est merveilleux. J’ai parfois des élèves qui se mettent à danser, à dessiner, ou à écrire des poèmes ! Dans le cadre d’un projet sur les discriminations, certains ont même enlevé leurs chaussures pour tourner une scène. Cela peut paraître banal, mais quand on vit dans la cité, il est impensable d’enlever ses chaussures. En général, ils ne les enlèvent même pas pendant leurs cours de sport ! Une autre fois, dans le cadre d’un projet de film sur la sexualité, il a fallu décider qui incarnerait les rôles des deux garçons qui éprouvent des sentiments l’un pour l’autre. Sans un vrai de climat de confiance dans la classe et une vraie implication des élèves, on n’y serait jamais arrivés”.

L’élève au centre

L’écriture permet également à Axelle Schatz d’assoir sa posture d’intervenante. Comme pour de nombreux intervenants, l’élève est au centre de ses projets, que ce soit dans la conception du scénario, la rédaction des textes… ou, justement le choix du “qui fera quoi”. “Quand on me propose un thème, j’arrive toujours avec certain nombre de propositions. Mais ensuite, le projet évolue dans un jeu d’allers-retours entre eux et moi. Je dois souvent repartir sur d’autres pistes, en me basant de ce qu’ils ont exprimé pendant la séance.” Le projet se construit au fur et à mesure. “Quand j’interviens dans un atelier, je ne suis jamais dans une recherche artistique. J’accompagne une recherche collective des élèves, vers la création”.

 

La pédagogie du détour

Une fois qu’ils se sont appropriés la thématique à travers les visionnages, les temps d’écriture et de discussion, on passe à la réalisation proprement dite, et on décide des images que l’on va tourner pour exprimer, en images, tout leur questionnement autour de la problématique choisie. Les temps de discussion permettent de revenir sur des choses qu’ils ne comprenaient pas bien avant (l’homosexualité par exemple) ou sur lesquels il était difficile de parler (la radicalisation, le terrorisme,…). “Dans le cadre du projet sur les discriminations, à chaque séance, nous faisions le lien entre passé et présent, afin de faire le lien avec le quotidien des jeunes et ce qu’ils vivent aujourd’hui à Vitrolles”, explique l’intervenante dans le bilan du projet de réalisation mené au collège Henri Fabre.

Les bilans de ces projets sont toujours très forts. Dans une vidéo réalisée par le cinéma L’Alhambra sur le projet Toute la lumière sur les SEGPA, les élèves relèvent à la fois tout ce qu’un tel projet exige (“de la patience, du courage, de la concentration”), mais aussi tout ce que cela leur a appris : “à faire un film, à écrire, à entendre les autres autour de moi, à avoir confiance en nous, à s’aider entre nous, à s’ouvrir, à s’exprimer”,… Pour leur professeur aussi, le bénéfice est indéniable : “ce projet c’est un formidable subterfuge pour faire travailler les élèves. Je n’ai jamais vu les élèves autant travailler, écrire, réfléchir, partager, s’écouter, que dans ce projet !”

 

 

Pratique