Points de vue sur l’éducation aux images
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Retours d’expériences

Zoom sur : l’atelier de programmation

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Que permet l’atelier de programmation ? Comment le mettre en place ? Auprès de quels publics ?

Publié le 16/03/2020, Mis à jour le 27/04/2023

En vingt ans, l’atelier de programmation a su se faire une place dans l’offre des actions d’éducation aux images et face aux propositions traditionnelles. Que permet l’atelier de programmation ? Comment le mettre en place ? Auprès de quels publics ? Le Fil des images est allé à la rencontre d’acteurs de terrain, pour faire état de la diversité des pratiques et identifier les lignes directrices communes.

Soyons honnêtes. Pour qui ne travaille dans l’éducation aux images, le titre d’atelier de programmation n’évoque rien de réellement identifiable. Preuve en est, lors de la première séance d’un atelier, les participants ont souvent du mal à se représenter ce qui est attendu d’eux. Alors, de quoi parle-t-on ?

Comme son nom le laisse présumer, un atelier de programmation invite un groupe à devenir, le temps d’un atelier, programmateur d’une séance de cinéma [1]. Il peut se tenir à l’année, au sein d’un ciné club par exemple, ou de façon plus ponctuelle, à l’occasion d’un festival de cinéma notamment. Toutefois, comme pour bon nombre de propositions pédagogiques, le nombre de séances imparti à l’atelier de programmation est une condition de réussite essentielle. Le temps conditionne non seulement une partie des bénéfices directs de l’atelier de programmation – l’acquisition de connaissances, de vocabulaire. Mais il conditionne surtout l’ensemble des bénéfices collatéraux : affirmation de soi, recul, dimension d’échange social et sentiment de fierté. En d’autres termes, non seulement le groupe a besoin de temps pour acquérir quelques notions, pour aiguiser son regard et prendre du recul sur les films. Mais il a aussi besoin de temps pour laisser de côté ses goûts personnels au profit d’un regard concerté sur la capacité des films à dialoguer les uns avec les autres. C’est là tout l’enjeu d’un atelier de programmation : Il ne s’agit pas de composer un programme avec des films qui se ressemblent au risque de la redondance mais au contraire de faire en sorte que les films s’enrichissent les uns les autres. In fine, c’est « au moment de la constitution finale du programme [que] tu comprends qu’il y a eu un vrai cheminement. Les timides se révèlent, même si la restitution reste un moment en général difficile. Il n’est pas facile de prendre la parole en public » explique Paula Ortiz, intervenante. Et ce n’est pas tant le sentiment d’avoir acquis des connaissances sur le cinéma qui prédomine que la fierté d’avoir « construit » une programmation. En ce sens, le terme d’atelier est pleinement justifié : une programmation se façonne, se travaille, se polit… C’est d’ailleurs ce qui a le plus marqué Paula Ortiz à l’issue d’un atelier de programmation mené à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy, la fierté des participants pour leur programmation, pour ce travail qu’ils ont accompli alors même que le déroulement de l’atelier avait été chaotique.

Pour Yann Goupil, l’un des pères fondateurs des ateliers au sein de l’Agence du court métrage, l’importance de la prise de parole, de ce besoin de dire et de se dire est devenue centrale au fur et à mesure du développement du projet auprès de publics de plus en plus diversifiés. Il s’est avéré que nombre de participants « avaient un vrai besoin de parler, d’avoir un rôle » et la rencontre avec des films permettait cette parole vivante. Yann Goupil estime aujourd’hui que davantage qu’une approche strictement historique ou esthétique du cinéma (avec l’apprentissage d’un vocabulaire spécifique), « ces ateliers ont pour vertu de permettre aux participants de parler, de se parler ». Au fond le cinéma, pour Yann Goupil, « c’est ce qui permet de faire résonner une sensibilité, des émotions et de susciter une parole. »

Rapidement des ateliers de programmation ont été déclinés pour différentes typologies de publics : scolaires, périscolaires mais aussi des étudiants détenus, des personnes atteintes de maladies, des personnes âgées résidant dans des EHPAD, des étrangers en cours d’alphabétisation… Yann Goupil remarque que « Tous ces lieux où les ateliers de programmation ont un effet réel sont des lieux qui imposent une certaine fermeture, y compris l’école. » La prise de parole va alors de pair avec l’idée, formulée par Jean-Luc Nancy « que le cinéma nous redonnerait le monde ». C’est ainsi que l’approche thématique des films proposée par les différents corpus peut reprendre tout son sens, contre l’idée selon laquelle l’éducation au cinéma aurait pour fonction de circonscrire ce qui constituerait sa spécificité en se concentrant sur des critères esthétiques ou formels uniquement.

 

Une diversité de propositions et de publics

Si l’Agence du court métrage a été, sans doute, précurseuse, au début des années 2000, dans la formalisation des ateliers de programmation (Cf. encadré – Lire la suite), elle continue d’en proposer aujourd’hui. Il s’agit d’ailleurs de l’une des offres phare de son service pédagogique. Les moyens techniques et le cadre dans lequel ils ont lieu ont évolué avec les années, en résonnance avec les choix de politique culturelle et éducative. Aujourd’hui des ateliers de programmation ont lieu dans les établissements sur le temps des TAP (Temps d’activité périscolaires).

 

Auprès de personnes en grande difficulté sociale

Parallèlement, d’autres structures pratiquent ces ateliers, à partir de cinématographies plus ciblées et/ou en direction de publics spécifiques. L’association Etonnant cinéma, qui œuvre majoritairement auprès des publics du champ social, adapte la proposition en fonction des publics. Ainsi, Clara Guilaud et Clara Iparraguirre interviennent-elles auprès de mineurs placés sous main de justice, auprès de résidents d’un Centre Emmaüs ou encore de parents en grande difficulté sociale. Dans chaque cas, l’atelier prend une dimension importante : « À travers ces actions, nous défendons le cinéma comme support capable de créer du lien social, susciter la réflexion, l’expression, la rencontre et l’échange ».

« Les Ecrans d’Emmaüs », cycle de projections mensuelles ayant lieu au Centre Emmaüs Pereire à Paris sont le fruit d’un atelier de programmation mené auprès d’un groupe de résidents. A l’origine du projet on trouve le désir d’animer le centre dans le cadre d’une activité artistique et culturelle et d’encourager la participation de personnes hébergées. Cette action s’inscrit dans un parcours d’insertion plus global qui passe par la remobilisation citoyenne et sociale.

Toute personne qui souhaite y participer peut rejoindre le groupe en cours de route. Le corpus de films proposés est majoritairement constitué de courts métrages et de longs métrages documentaires. Chaque trimestre un cycle est construit autour d’une thématique (le sport, la musique, le droit des femmes…). L’intervenante vient avec des propositions de films, les participants à l’atelier également, ce qui permet de valoriser leur engagement, leur culture. Les films doivent proposer un regard sur le monde et porter sur des thématiques sociales et citoyennes mais leur qualité artistique reste au cœur du projet.

Le visionnage de courts métrages se fait dans leur intégralité, les longs métrages sont sélectionnés à partir d’extraits. Depuis plusieurs années, les Ecrans d’Emmaüs ont enrichi le projet avec un partenariat avec Cinéma du réel, festival international de films documentaires. Chaque année, au moment du festival, le comité de programmation vient découvrir des films de la compétition en salle et rencontrer des réalisateurs. Les films vus peuvent ensuite intégrer le programme des Ecrans d’Emmaüs si les participants le décident. D’autres sorties ont lieu à la Cinémathèque française et au cinéma Le Louxor.

En 2015, les Ecrans d’Emmaüs étaient coordonnés par l’association Belleville en vue.
>> Lire le retour sur une séance au Centre Emmaüs Louvel-Tessier à Paris.

Etonnant Cinéma mène d’autres ateliers de programmation auprès de personnes en apprentissage du français (le visionnage des films est alors l’occasion de s’exprimer en français), ou encore auprès de mineurs pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse.

Mais l’atelier le plus innovant est sans doute celui mené avec des parents en grande difficulté sociale au sein d’un accueil de jour à Bondy (Seine-Saint-Denis) : les participants conçoivent une programmation pour le très jeune public (3-6 ans). Cet atelier est mené dans le cadre d’un projet de sensibilisation à l’usage des écrans et à l’éveil artistique et culturel des tout petits. Les adultes prennent conscience à travers leur participation des images auxquelles leurs enfants sont exposés quotidiennement devant divers écrans. Il s’agit de rendre les parents acteurs de l’offre audiovisuelle qu’ils vont leur proposer. Cet atelier trouve lui aussi des prolongements lors de sorties au cinéma, à la médiathèque ou encore à Mon premier festival.

>> En savoir plus sur les ateliers de programmation menés par Etonnant Cinéma.

 

Une ouverture vers le monde professionnel

L’atelier de programmation peut également être envisagé pour des jeunes (et moins jeunes) comme une expérience qui, par bien des aspects, constituerait un premier aperçu d’une pratique professionnelle. On peut ainsi faire référence à l’atelier mené par Amélie Dubois pour le compte de Ciclic à la faculté de Tours auprès d’étudiants non spécialistes du cinéma à qui on a confié la mission de participer à l’organisation et à la programmation d’un événement culturel : un festival de cinéma accueilli par l’université. Outre le travail de programmation, les étudiants en question ont travaillé sur certains outils de communication (création d’une brochure), à la recherche de publics et ont assuré la présentation des séances. Ils ont également été en partie responsables de la recherche de copies, souvent totalement ignorée dans le cadre des ateliers. On voit ici que l’acte de programmation s’inscrit dans un cadre plus général qui prend en compte toute une chaîne de tâches dépendantes les unes des autres et que l’on a tendance à ne pas évoquer dans le cadre d’un atelier de sensibilisation. Le travail d’équipe se conçoit dans les choix de programmation mais aussi en lien avec les autres missions qui la précèdent et en découlent.

Attirer des nouveaux publics dans les salles 

Un autre aspect positif des ateliers de programmation réside dans leur capacité à mobiliser du public lors des séances dites de restitution. Evidemment, il faut envisager ces ateliers dans une dynamique plus globale d’action culturelle sur un territoire pour que ces effets puissent se faire sentir. C’est le cas du festival Toiles sous toile créé par la cinéaste Nathalie Joyeux à Clichy-sous-Bois qui se déroule depuis 8 ans désormais sous le chapiteau de la Fontaine aux images.

Lorsque Nathalie Joyeux a lancé ce projet de programmation documentaire conçue entièrement lors d’ateliers de programmation avec des habitants de la ville, elle pensait proposer une projection mensuelle. Au début, les séances accueillaient une soixantaine de spectateurs mais les mois d’hiver arrivant, ils se sont faits plus rares. Il est apparu difficile de mobiliser un public fidèle à l’ensemble des propositions, public qui fréquentait en outre déjà fréquemment les salles de cinéma. L’objectif de Nathalie Joyeux était de toucher les habitants des quartiers : les ateliers de programmation qu’elle a montés lui ont permis de cibler ce public et de l’associer aux choix des films. Les participants, collégiens, lycéens, jeunes en service civique ou encore adultes en apprentissage du français au sein d’un centre social, composent des équipes de programmation sur une durée de plusieurs mois (le festival a lieu au mois de novembre chaque année). Les films visionnés sont des documentaires de création, un choix qui correspond à l’appétence personnelle de Nathalie Joyeux mais répond aussi à un choix économique : en général plus courts que des longs métrages de fiction, ces films ont des droits de projection moins élevés.

Les séances de visionnages mettent en relief différents rapports aux images et aux questions de société. Les participants d’un des groupes, issu d’un centre social, en majorité des femmes, réagissent aux films proposés en faisant part des émotions qu’elles ont ressenties et de l’écho que les films peuvent susciter avec leurs histoires personnelles. Certaines situations présentées dans les documentaires choquent : la nudité, un langage grossier dans la bouche d’enfants, des filles qui jouent au foot peuvent susciter une forte désapprobation. Nathalie Joyeux est ainsi amenée à s’interroger sur ses choix de films et à réfléchir sur ceux qui vont « passer ou poser problème au groupe ». « Cela change la vision que l’on a des films » dit-elle. « Il faut garder un rapport de confiance avec le groupe en dépassant parfois quelques interdits ». Les réactions sont fortes également quand les films mettent en scène des personnages des quartiers, donnant l’impression que la réalité est mal représentée. Néanmoins, l’expérience reste valorisante car elle donne une responsabilité aux participants qui sont également chargés de préparer des questions à poser aux réalisateurs des films choisis, tous conviés au festival. Le groupe a aussi pour mission de travailler sur la grille horaire établie en fonction de la typologie des publics concernés (en journée pour les enfants, le soir pour les adultes…).

« Les ateliers de programmation ont changé le festival » explique Nathalie Joyeux. Les participants ont permis de mobiliser un nouveau public et en journée toutes les séances sont pleines grâce à la présence de groupes issus de centres de loisirs, de collèges, de lycées, d’associations, de centres sociaux, de retraités. Toutes les séances ont lieu en présence des réalisateurs qui viennent parfois de loin et en soirée on propose des animations pour accompagner les séances qui mobilisent là aussi certains habitants.

 

Contraintes, écueils et bonnes pratiques

Volume horaire et matériel

L’organisation des premiers ateliers, au début des années 2000, a rendu saillants plusieurs écueils. En dépit de l’impératif du temps, que nous pointions en début d’article, les contraintes en matière de volume horaire des établissements scolaires ne permettaient pas toujours de déployer les ateliers dans la durée. Quant à leur mise en place technique, elle a souvent été plus chaotique que prévue : le matériel à disposition n’était pas toujours en état de fonctionner correctement (tout intervenant ayant eu à projeter des films sait de quoi il peut retourner). Finalement, l’objectif des ateliers s’est recentré sur le fait de montrer des corpus de films en lien avec des thèmes et des notions cinématographiques afin de développer une prise de parole subjective et un regard argumenté.

 

Corpus de films

Après avoir animé lui-même certains ateliers, essentiellement pour des enfants à partir de 8-9 ans et des adolescents sur le hors temps scolaire par l’intermédiaire des pôles régionaux d’éducation à l’image ou directement pour le compte de l’Agence du court métrage, Yann Goupil a formé et fait intervenir des réalisateurs. Paula Ortiz est l’une d’elles. Dans ce « projet très nouveau dans le domaine de l’éducation aux images », Paula Ortiz se souvient de difficultés qu’elle a pu rencontrer à trouver des films de qualité pour le jeune public pour constituer des corpus. Elle émet l’hypothèse que la production était peut-être moins riche à l’époque, aujourd’hui elle lui semble globalement de meilleure qualité et pour le jeune public le choix est aussi beaucoup plus vaste. En outre, en réponse à la difficulté d’accéder à un corpus de films suffisamment dense pour pouvoir exercer des choix de programmation, l’Agence du court métrage a mis en place la plateforme pédagogique le Kinetoscope,  qui permet un accès facilité aux films via un abonnement.

 

Rôle de l’intervenant

S’il est un élément immuable, c’est bien l’intervenant. Pour Paula Ortiz, « encadrer un atelier de programmation demande une mécanique mentale, une habileté à sélectionner des films que le format court permet bien. En une heure, on peut proposer un éventail de propositions formelles sur un même thème. L’enjeu étant de créer des passerelles entre les films. » Le corpus initial peut ainsi être élaboré à partir d’un genre, d’un thème ou encore d’une notion. Mais un film est choisi « pour ses qualités esthétiques, la complexité qu’il met en œuvre dans sa lecture. Il ne faut pas être complaisant vis-à-vis du public et ne pas avoir peur de mettre en avant précisément ce qui va créer des difficultés pour les participants. » Avec l’expérience, Paula Ortiz a pris conscience qu’il fallait aussi ne pas perdre de vue le plaisir que prennent les participants à voir les films : il n’est pas nécessaire de « les faire souffrir » avec des propositions trop radicales qui les maintiendraient dans un rapport trop extérieur aux œuvres. « Il faut savoir trouver un équilibre entre l’exigence et le plaisir. ». En tant qu’intervenante, Paula Ortiz est en général très présente au début. Elle tient à soigner la présentation des films, elle s’appuie sur des supports pédagogiques conçus pour l’occasion. Il ne s’agit pas de montrer les films de but en blanc, sans aucune préparation des participants : si les films leur semblent lointains, elle essaye d’en expliquer les enjeux pour qu’ils puissent avoir un point d’accroche. Après le visionnage, elle pose des questions pour permettre aux participants d’en faire l’analyse, elle introduit quelques mots de vocabulaire pour accompagner la réflexion. « Plus ça va, plus ils comprennent le mécanisme et voient des choses ». L’intervenant a ainsi vocation à céder du terrain aux participants : « Je fais en sorte de placer du vocabulaire cinématographique au fur et à mesure. Les termes sont repris ensuite assez naturellement et quand arrive le moment de la restitution je suis dans un effacement presque total. » Toutefois la présence de l’intervenant reste indispensable jusqu’à la séance de restitution : il accompagne le projet même au moment de présenter les films (ce qui n’est pas toujours compris par les enseignants par exemple).

Plateforme Kinetoscope

Conseils pratiques

Sur la plateforme Kinetoscope, des corpus clé en main sont disponibles ainsi que des fiches pratiques présentant le déroulé d’un atelier, séance par séance : https://www.lekinetoscope.fr/cles-en-main/atelier-seances. On peut par ailleurs noter que ces ateliers ont été renommés « J’organise une séance de cinéma », mettant l’accent non plus sur le geste de programmation mais sur l’événement que représente la séance.

L’Agence du court métrage a également mis en ligne un livret fort pratique pour qui souhaite mettre en place des actions éducatives autour du court métrage : « Court métrage et éducation au cinéma, informations, réflexions et conseils pratiques ».

Depuis près de 20 ans les ateliers de programmation se sont développés, transformés, l’idée a surtout essaimé et produit de nouvelles expérimentations. On constate que l’ensemble des propositions ici mentionnées – et bien d’autres encore ! – peuvent être déclinées à l’envi, avec un nombre de séances très variables, sur des cinématographies extrêmement variées et un large choix de typologies de publics. In fine, l’élaboration d’une parole sur le cinéma, ou sur ce que suscite le cinéma, ou ce que permet le cinéma reste, sa plus belle réussite. Et quelle autre proposition peut s’enorgueillir de faire résonner, si on accepte de s’en donner la possibilité en constituant les corpus de départ, des courts métrages avec des longs métrages, des films de fiction avec des films documentaires ou même expérimentaux ? Les ateliers de programmation font dialoguer les films autant que les participants.

Genèse des ateliers de programmation

Les ateliers de programmation se sont développés crescendo depuis le début des années 2000. D’abord initiés par des acteurs de terrain, qui, à l’occasion de festivals par exemple, confiaient aux participants le choix d’un ou plusieurs films à partir de critères plus ou moins formalisés (intérêt au regard d’un thème donné, popularité des films, qualités formelles), c’est l’Agence du court métrage qui lança en premier un travail de fond pour formaliser, structurer une méthodologie et créer des outils pour l’ensemble des acteurs de l’éducation à l’image. L’enjeu : (faire) penser le choix des films comme un véritable processus réflexif, accompagné par un intervenant professionnel, avec un objectif pédagogique déterminé, à savoir parvenir à élaborer une programmation ayant sa propre cohérence.

Lorsque Philippe Germain et Yann Goupil, respectivement directeur et responsable du service Education au cinéma de l’Agence du court métrage, commencent à réfléchir à cette nouvelle proposition d’atelier pédagogique, les dispositifs scolaires Ecole et cinéma, Collège au cinéma et Lycéens et apprentis au cinéma, et plus généralement l’action éducative dans le domaine du cinéma, sont en plein essor. L’Agence du court métrage entend participer à ce mouvement en valorisant la forme courte (peu présente dans les catalogues des trois dispositifs scolaires) et le potentiel éducatif dont elle est porteuse. Au départ, on trouve la volonté de proposer des ateliers en prise directe avec le catalogue de l’Agence du court métrage et qui se démarqueraient de propositions plus « classiques » tout en créant des passerelles : créer un lien entre pratiquer et regarder.

Yann Goupil rappelle que le point de départ de cette nouvelle approche pédagogique consistait pour lui à « interroger les mots » et en premier lieu le terme « court métrage » qui ne renvoie finalement à aucune réalité effective. Quelque soit sa durée, cela n’a pas finalement pas grand sens de qualifier un film de « court ». La durée objective d’un film a souvent peu à voir avec l’expérience que l’on en fait laquelle entre davantage en relation avec la notion « d’amplitude », poursuit Yann Goupil. Quelle serait la limite entre un film « long » et un film « court », si ce n’est celle officielle et somme toute arbitraire des 60 minutes ? Quant au terme « métrage », il ne désigne plus grand-chose à l’heure du numérique où les mètres de pellicule ont été transformés en données immatérielles. Enfin, la programmation, entendue dans le sens qui nous concerne (et non pas en tant que programmation dans le domaine de l’informatique par exemple), désigne le fait de choisir des films « à l’avance » pour les montrer lors d’une projection dont ne peut jamais prédire ce qu’elle suscitera chez les spectateurs. Autrement dit, on anticipe, on prépare et on tente de prévoir ce qui ne peut pas l’être. Ce regard sur l’acte de programmer s’inscrit en ligne directe avec la pratique d’Henri Langlois, co-fondateur de la Cinémathèque française, qui voyait dans ce geste une façon de créer un dialogue, une circulation entre les films ou, si l’on se place du côté de leur réception, de nouvelles perceptions, de nouvelles intelligences chez les spectateurs. Le recours au court métrage avait (et a toujours) l’avantage indéniable sur le long métrage de permettre le visionnage d’un corpus suffisamment large en quelques séances seulement et de composer un programme varié pour la restitution.

Par Suzanne Hême de Lacotte

[1] Définition de l’agence du court métrage.