Points de vue sur l’éducation aux images
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Comptes rendus

La médiation jeune public en salle de cinéma

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Les 23 et 24 octobre 2014, les associations Les doigts dans la prise et Enfances au cinéma consacraient des rencontres à l’accompagnement des séances jeune public en salle de cinéma. 

Publié le 02/12/2014, Mis à jour le 11/03/2024

L’accompagnement des séances jeune public est un axe prioritaire des politiques d’éducation aux images. Les rencontres professionnelles organisées en octobre 2014 par les associations Les doigts dans la prise et Enfances au cinéma, à la demande et avec le soutien de la DRAC Ile-de-France, ont réuni des animateurs effectuant un travail de médiation autour du cinéma avec les enfants, petits et grands, pour faire émerger des bonnes pratiques…

À l’origine de ces journées consacrées à la médiation culturelle, il y a le désir des associations Enfances au cinéma et Les doigts dans la prise de réunir différents professionnels engagés dans l’accompagnement des séances jeune public, notamment celles liées aux dispositifs École, Collège et Lycéens au cinéma. Leur but : partager des expériences d’encadrement de séances mais aussi donner des pistes de travail et de réflexion autour de la transmission du cinéma aux jeunes spectateurs. Cette précieuse initiative – dont on regrette qu’elle ne soit pas plus répandue – était l’occasion pour les personnels des salles réunis (soit une trentaine de participants) de sortir d’un certain isolement, voire d’une forme de tâtonnement, en abordant avec des animateurs professionnels des points importants de leur pratique auprès du jeune public.

La matinée du 24 octobre, le cinéma l’Arlequin ouvrait ses portes à des ateliers autour de la médiation du cinéma. En parallèle d’un atelier son, invitant à une approche ludique du bruitage, se déroulaient simultanément trois ateliers. Émilie Desruelle (responsable jeune public au Magic cinéma de Bobigny) proposait une séance autour de la présentation en salles des films du dispositif, mettant en avant l’importance de ce court temps de parole avant la projection : il s’agit en effet d’éveiller la curiosité des élèves tout en leur suggérant des pistes de réflexion susceptibles de guider leur regard et de les aider à saisir les enjeux d’un film. De son côté, Richard Stencel (animateur jeune public en salle et en classe) livrait de riches propositions de travail pour aborder les notions de cinéma avec les tout-petits.

Un débat, ça se prépare !

L’atelier « Un débat, ça se prépare ! », dirigé par Johanna Hawken et Suzanne Duchiron, exposait une autre approche encore, prenant en compte les difficultés rencontrées lors des échanges organisés à l’issue d’une projection : bien souvent, les animateurs se sentent démunis face aux questions directes, à la fois déroutantes et pertinentes, posées par les enfants. Organisatrices de ciné-philo, les deux jeunes femmes invitaient non seulement leur groupe à réfléchir à des thèmes philosophiques à partir d’un exemple précis (Mon voisin Totoro de Miyazaki) mais proposaient judicieusement aux adultes de faire un pas de côté : pourquoi vouloir à tout prix fournir des réponses (d’autant plus qu’il n’y en pas toujours), alors que l’on peut relayer et creuser les interrogations soulevées par les enfants en posant d’autres questions, en s’appuyant sur des exemples et contre-exemples pouvant alimenter l’échange et approfondir la réflexion.

Pas question ici de faire autorité mais plutôt de faire circuler la parole et de donner du relief aux idées échangées pour mettre la pensée en mouvement. Ce positionnement pédagogique, particulièrement important et fructueux lorsqu’il s’agit d’aborder n’importe quel art, aurait mérité d’être poussé plus loin encore, en prenant en compte la manière dont une mise en scène invite aussi par ses choix esthétiques à se poser des questions philosophiques. Si le cinéma et la philosophie sont étroitement liés, ils le sont également par la forme, indissociable du fond. Le concept n’en reste pas moins très stimulant et éclairant, car adaptable à maintes situations d’échange autour d’une œuvre.

Le pouvoir des images sur les enfants

La journée s’est poursuivie au cinéma Nouveau Latina, où Véronique Boursier, déléguée générale d’Enfances au cinéma et de Mon premier festival, animait une table ronde sur « Le pouvoir des images sur les enfants » en compagnie de Marie-Noëlle Clément, psychothérapeute et directrice de l’hôpital de jour pour enfants du Cerep et de Jef Costello, rédacteur aux Fiches du Cinéma et éducateur spécialisé dans un ITEP où il anime un ciné-club pour des enfants présentant des troubles du comportement.

Pour ouvrir le débat, une vaste interrogation : « Quelle est l’influence du cinéma sur notre vie ? ». La discussion s’est d’abord orientée sur la question passionnante du corps face aux images. Jef Costello souligna à quel point les images, notamment liées à l’expression de la violence, influençaient les comportements des enfants, qui jouent à se tirer dessus après avoir vu Il faut sauver le soldat Ryan de Spielberg la veille à la télévision. Ce premier constat a permis à Marie-Noëlle Clément de revenir sur la place du corps chez les enfants et sur l’importance pour eux de rejouer des scènes, même violentes, pour se les approprier et mieux les comprendre, car « leur appréhension du monde passe par le corps, par les sensations ». A été soulevé à cette occasion, un point rarement évoqué : le fait que les salles de cinéma ne sont pas forcément les lieux les plus adaptés pour les projections destinées aux plus jeunes car elles ne permettent pas vraiment aux enfants de bouger comme ils le désirent.

Le discours sur les films tenu auprès des enfants fut également au centre du débat : si les deux participants étaient d’accord sur l’importance de ne pas cacher aux enfants nos émotions à l’issue d’une projection, ils se positionnèrent différemment quant aux explications à fournir sur la fabrication d’un film. Contrairement à Jef Costello, qui fait le choix de ne rien révéler des coulisses du cinéma pour en préserver la magie, Marie-Noëlle Clément est favorable à une approche explicative qui, selon elle, ne tue aucunement l’illusion et le plaisir de la fiction et permet de prendre un peu de distance, quand c’est nécessaire, face aux scènes tristes et éprouvantes.

Le débat s’orienta autour des images de violence et de leur impact, notamment chez les adolescents, et les intervenants répondirent avec prudence et nuance aux questions du public, soucieux de ne pas généraliser, ni diaboliser (le spectacle de la violence, parfois jouissif, a aussi des vertus), et rappelant la nécessité dans tous les cas de rester dans l’échange avec les enfants.

La table ronde s’est prolongée au-delà du temps fixé, signe que les sujets abordés étaient au centre des préoccupations de chacun. Signe aussi de la réussite de ces premières journées professionnelles qui mettaient en évidence le besoin pour les animateurs cinéma de se rencontrer, d’échanger et de perfectionner l’encadrement de séances jeune public. Car manifeste est le souci de chacun de préserver et de prolonger au mieux la richesse du dialogue qui s’établit entre un jeune spectateur et les films. Difficile dès lors de ne pas imaginer une suite à ces précieuses et nécessaires rencontres.

Par Amélie Dubois, novembre 2014