Deux ans après son lancement, comment évolue Maternelle au cinéma ? Eva Morand et Nadège Roulet, impliquées dans le développement du dispositif via l’Archipel des Lucioles, racontent son émergence, son fonctionnement et en font un premier bilan.
Publié le 03/02/2025, propos recueillis par Julie DESBIOLLES
Mis à jour le 03/02/2025
Dernier né des dispositifs d’éducation artistique au cinéma “Ma classe au cinéma” (qui comprend Ecole et cinéma, Collège au cinéma, Lycéens et apprentis au cinéma), Maternelle au cinéma a été officiellement lancé en 2022. Il permet à des enfants de la petite à la grande section de se rendre dans un cinéma deux à trois fois dans l’année pour voir des films, et ainsi découvrir une œuvre, découvrir la salle de cinéma… Mais surtout découvrir le goût et le plaisir du cinéma. Pour accompagner les séances, les enseignant·es qui participent au dispositif ont accès à des formations dédiées ainsi qu’à des ressources pédagogiques facilitant ainsi l’accès aux œuvres à leurs élèves.
Deux ans après son lancement, le Fil des images a rencontré Eva Morand et Nadège Roulet, toutes deux impliquées dans sa coordination au niveau national via l’association l’Archipel des Lucioles. Elles nous racontent les coulisses du dispositif, et en font un premier bilan.
Pouvez-vous vous présenter ?
Eva Morand : À l’Archipel des Lucioles, je suis coordinatrice nationale des dispositifs du premier degré. Pour Maternelle au cinéma (MAC), j’ai un rôle de conseil, d’expertise et en partie logistique, mais j’ai aussi participé à la programmation ainsi qu’à la construction de la plateforme Nanouk Maternelle.
Nadège Roulet : Je suis responsable du service édition de l’Archipel des Lucioles : je m’occupe de la conception des ressources pédagogiques pour Maternelle au cinéma et École et cinéma. J’accompagne le déploiement de Maternelle au cinéma et je siège à la commission de choix de films.
Maternelle au cinéma en dates
- 2014 : création de Maternelle au cinéma à titre expérimental
- 2014-2015 : 8 départements s’engagent dans l’expérimentation
- Novembre 2021 : annonce de l’officialisation de Maternelle au cinéma
- Rentrée 2022 : lancement du dispositif à l’échelle nationale
- Rentrée 2023 : publication du guide Maternelle au cinéma
Comment est né le dispositif Maternelle au cinéma ?
EM : Jusqu’en 2013, la grande section de maternelle faisait partie du cycle 2 et était intégrée à École et cinéma : les petits représentaient 15 % des effectifs. Mais en 2013, un décret[1] leur a fait quitter le cycle 2. C’est à ce moment-là qu’un groupe de travail s’est constitué : il réunissait différents acteur·rices (salles de cinéma, Éducation nationale, associations…) et avait pour objectif de penser un dispositif dédié aux 3 à 6 ans. Dès la rentrée 2014, une expérimentation a débuté avec 8 coordinations départementales. Elle s’est élargie au fil des années et au lancement officiel du dispositif, en 2022, une quarantaine de départements étaient associés. Ils sont aujourd’hui 63.
NR : Ce dispositif répondait à une demande du terrain, notamment des enseignant·es, pour qui le cinéma permet de travailler le langage, l’expression, la description, l’observation. Avant sa création officielle, les salles répondaient déjà à cette demande et accueillaient les maternelles, parfois en créant leurs propres dispositifs – qui, pour certains, perdurent.
Qu'est ce qu'une « coordination départementale » ?
La coordination départementale du dispositif se fait en binôme : d’un côté d’un·e représentant·e d’une structure culturelle (association, salle de cinéma ou réseaux de salles, etc.), de l’autre un·e représentant·e de l’Éducation nationale (conseiller·ère pédagogique arts visuels ou musique, etc.). La liste de toutes les coordinations départementales de Maternelle au cinéma est disponible sur le site de l’Archipel des Lucioles.
Pourquoi est-il important d’amener ce très jeune public au cinéma ?
NR : C’est d’abord une manière de le familiariser avec la salle de cinéma comme lieu culturel. Les enfants voient un film mais découvrent aussi l’espace, le grand écran, les fauteuils. Ils y vivent une expérience collective, se construisent une culture commune, travaillent sur leurs émotions, sont aussi mis en contact avec un écran qui, contrairement à d’autres, n’est pas néfaste – au contraire. Car face à la surexposition aux écrans, un rapport de Sophie Marinopoulos[2] publié en 2019 souligne que le cinéma, en tant qu’expérience culturelle partagée, est une réponse : il contribue au développement cognitif, affectif, social des jeunes enfants.
Le fait de créer un dispositif permet aussi de corriger une inégalité : alors que les enfants de zone urbaine vont plus jeunes au cinéma que ceux des zones rurales, MAC leur permet à tous de faire l’expérience de la salle dès le plus jeune âge, quel que soit l’endroit où ils vivent.
De quelle manière se déploie le dispositif ?
EM : Chaque année, cinq coordinations volontaires maximum sont accompagnées par L’Archipel des lucioles dans la structuration et la mise en place du dispositif. Certaines sortent d’une année d’expérimentation, mais pas toutes. Pour se lancer, un crédit d’amorçage de 5 000 € est alloué par le CNC, à condition que la DRAC prenne le relai de ce financement les années suivantes. Chaque coordination l’utilise selon ses besoins : il peut servir au financement de la coordination cinéma ou bien à la prise en charge de la billetterie, du transport, d’ateliers, de formations, de développement d’outils pédagogiques.
Comment fonctionne Maternelle au cinéma ?
EM : Le dispositif s’appuie d’abord sur un rapport de l’Inspection générale[3] publié en mai 2021, qui, suite à l’expérimentation, a posé un certain nombre de cadres. Ensuite, le CNC assure la gouvernance d’un comité de pilotage national composé des ministères de la Culture et de l’Éducation nationale, de la coordination nationale (nous, l’Archipel des Lucioles), et de plusieurs coordinations départementales. Il décide des grandes orientations de Ma classe au cinéma. Côté programmation, le CNC préside aussi un comité qui décide quels films entrent au catalogue national, dans lequel chaque coordination départementale choisit les films qu’elle présente sur son territoire. Nous, la coordination nationale, avons pour mission de faire le lien entre les partenaires institutionnels et les coordinations locales, et de produire des ressources pédagogiques.
Un document du CNC explique en détail le rôle de chaque acteur au sein des dispositifs Ma Classe au cinéma.
Comment sont choisis les films du dispositif ?
NR : Nous nous assurons d’abord que la projection n’excède pas une heure, afin de correspondre aux capacités d’attention et de concentration que les enfants ont à cet âge. Pour cette même raison, ce sont presque exclusivement des court-métrages, et il n’y en a jamais plus de six dans la même séance. Nous proposons des programmes disponibles dans les catalogues distributeurs, mais nous concevons aussi des programmes pour le dispositif, en lien avec l’Agence du court-métrage et KMBO par exemple.
Nous choisissons les films sur plusieurs critères. Comme l’un des objectifs est de donner le goût du cinéma, nous essayons de montrer des films qui suscitent des émotions positives. Cela ne veut pas dire que nous évitons la peur ou la tristesse, mais les films choisis se terminent sur une note d’espoir. Nous essayons également d’éviter les schémas sociaux ou culturels trop normés.
EM : L’un de nos partis pris est aussi d’intégrer de la prise de vue réelle. En effet, il existe un débat sur la capacité des très jeunes enfants à faire la distinction entre réalité et fiction, mais il est en fait prouvé qu’iels savent la faire très tôt.
TOP 10 : Les films du catalogue Maternelle au cinéma les plus programmés

Quelles sont les spécificités de l’accueil en salles de ce très jeune public ?
NR : Pour la plupart des enfants, c’est la première fois qu’iels vont au cinéma. Et cette première rencontre est décisive pour leur fréquentation des salles pour la suite ! Il faut donc être attentifs à bien les accueillir. D’abord en présentant la salle, les films, en adaptant le volume… Mais surtout, en prenant en compte le fait que le cinéma peut être très impressionnant pour les tout-petits : sur un écran géant, dans le noir, on montre des images qui suscitent beaucoup d’émotions, à un âge où l’obscurité est difficile et les émotions pas toujours bien apprivoisées.
EM : C’est pour ces raisons que dès l’expérimentation, une charte d’accueil a été créée pour faire des suggestions spécifiques à l’accueil de ce public. Nous invitons aussi les enseignant·es à ne pas exiger le silence, même dans une salle de cinéma : il est important que les enfants puissent exprimer leurs émotions.
Quelles ressources pédagogiques produisez-vous ?
NR : Comme pour École et cinéma, nous concevons des ressources pour les enseignant·es, écrites par des auteur·rices. Iels produisent d’abord le document « Point de vue » sur le programme, qui fait émerger des thématiques et des axes de travail pour l’aborder. Nous proposons aussi des « Images ricochet » en lien avec le film, venues de tout champ artistique : un autre film, une photographie, une peinture, une sculpture… Nous fournissons aussi une bibliographie d’albums jeunesse, et chaque enfant reçoit une « carte activité », qui permet de faire le lien entre l’expérience vécue en salle de cinéma, la classe, et la famille.
Nous produisons aussi des fiches outils qui accompagnent le dispositif de manière plus générale, et nous avons aussi fait partie du groupe du travail du CNC qui a conçu le guide Maternelle au cinéma. Il s’adresse à la fois aux coordinations, aux enseignant·es, aux parents et aux salles de cinéma.
EM : Nous soulignons souvent la différence entre les « ressources » que nous fournissons, qui sont volontairement très larges, et les « documents pédagogiques », plus appliqués, qui sont plutôt conçus par les coordinations Éducation nationale.
Sur le modèle de Nanouk École, vous développez une plateforme Nanouk maternelle. Que contiendra-t-elle ?
NR : Nanouk Maternelle est en cours de finalisation, et devrait être disponible à la rentrée 2025. Sur inscription, les enseignant·es y trouveront les ressources dont je parlais précédemment, mais aussi des détails sur chaque court-métrage : sa fabrication, ses réalisateur·ice·s… Il y aura aussi la rubrique « Arrêt sur image », qui permettra de travailler avec des tout petits sur l’écriture cinématographique : valeurs de plan, point de vue, mouvements de caméra, etc. Nous proposerons aussi des activités autour des aspects sensoriels comme le son, ou l’aspect « tactile » et les matériaux utilisés pour certains films d’animation. L’espace réservé aux familles proposera des informations sur les films vus par leurs enfants et des activités pour prolonger la découverte à la maison.
Pour développer cette plateforme, nous travaillons avec une enseignante, Mathilde Trichet. Son expérience de terrain est précieuse.
Quels sont les freins d’accès au dispositif et comment y répondez-vous ?
NR : Les difficultés sur les transports sont communes aux autres dispositifs, mais accentuées sur Maternelle au cinéma car les programmes sont très courts : il paraît parfois absurde de faire 40 minutes de transport pour voir un programme de 40 minutes. Un autre frein est la capacité des salles à accueillir les enfants, notamment en termes de personnel : les maternelles nécessitent un encadrement plus important que les plus grands. La formation des enseignant·es est aussi de plus en plus difficile à mettre en place – notamment car elle doit désormais se faire sur leur temps personnel. Or, elle est indispensable, car le manque de connaissances en cinéma ou en médiation peut susciter de l’auto-censure ou de la résistance face à certains films. Sans elle, les enseignant·es ne se sentent pas toujours armé·es pour accueillir certaines émotions ou réactions.
Face à tout ça, notre rôle est d’aider les coordinations volontaires à le mettre en place, au cas par cas : selon si elles ont des financements, une expérience dans l’accueil des jeunes publics, des enseignant·es motivé·es dans leur réseau, nous adaptons notre accompagnement.
Vous êtes un établissement scolaire ou une salle de cinéma : comment participer à Maternelle au cinéma ?
Dans un premier temps, consultez la liste des coordinations départementales de MAC ici.
S’il existe une coordination MAC dans votre département :
- Vous êtes un établissement scolaire : adressez-vous à la coordination Éducation nationale de votre département
- Vous êtes une salle de cinéma : adressez-vous à la DRAC et à la coordination cinéma de votre département
Si votre département ne figure pas dans la liste des coordinations, c’est que le dispositif n’a pas encore cours sur celui-ci. Dans ce cas, rapprochez-vous de la DRAC ou du représentant de l’Éducation nationale délégué à l’éducation artistique et à l’action culturelle. Vous pouvez aussi contacter directement Eva Morand de l’Archipel des lucioles : eva@archipel-lucioles.fr | 09 72 21 77 25
Propos recueillis par Julie Desbiolles