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Comptes rendus

Quels films, quelles séances pour les tout-petits ?

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Compte-rendu de deux tables rondes organisées par Cinémas 93 le 13 novembre 2013.

Publié le 21/01/2014, Mis à jour le 27/04/2023

Le 13 novembre 2013, dans le cadre des Rencontres cinématographiques de Seine-Saint-Denis, Cinémas 93, en collaboration avec l’AFCA, Cinéma Public, Écrans VO, Enfances au cinéma et le Service des Crèches du Département de la Seine-Saint-Denis, a organisé une journée professionnelle autour du cinéma destiné aux très jeunes spectateurs. 

Cette journée professionnelle est née d’un constat : il existe une très forte attente de la part des parents et des structures d’accueil des jeunes enfants (crèches, écoles maternelles) en matière de programmes cinématographiques pour le très jeune public.
Dans cette perspective, deux questions ont articulé cette journée :
– Peut-on montrer des films aux très jeunes enfants ?
– Si oui, lesquels et comment ?

Les participants ont tout d’abord découvert (ou redécouvert) La Petite Fabrique du monde (40’), un programme de six courts métrages pour les enfants à partir de 2 ans, conçu par les associations organisatrices de la journée et distribué par KMBO.
La projection a été suivie d’une conférence d’Arlette Streri, « Les jeunes enfants au cinéma », l’occasion d’aborder la question du cinéma chez les tout-petits selon le point de vue d’une spécialiste de la perception et de la cognition chez le très jeune enfant.
La conférence a été suivie de deux tables rondes, dont voici la synthèse, conçue par Suzanne Hême de Lacotte (Les Sœurs Lumière).

 

Table ronde 1 : « Programmer : selon quels critères choisit-on un film pour le très jeune public ? »

Animée par Véronique Soulé, réalisatrice et animatrice d’une émission hebdomadaire sur l’actualité culturelle des enfants, « Ecoute ! Il y a un éléphant dans le jardin » sur Aligre FM.

Participants :

Marie Bourillon, co-fondatrice avec Emmanuelle Chevalier des Films du Préau, société de distribution de films pour enfants.

Nathalie Bouvier, chargée de production au Forum des Images et coordinatrice du festival Tout-Petits Cinéma.

Chiara Dacco, responsable des actions éducatives à Cinémas 93.

Sarah Génot, programmatrice et animatrice jeune public au cinéma L’Etoile de La Courneuve.

Camille Maréchal, déléguée générale de Cinéma Public qui organise notamment chaque année le Festival international de films jeune public Ciné Junior dans une quinzaine de salles du Val-de-Marne.

Tamara Savitsky-Midena, puéricultrice, responsable de groupement de crèches au Service des crèches départementales de la Seine-Saint-Denis.

Véronique Soulé a ouvert la table ronde en rappelant les faits suivants : dès 1980 des réflexions sont menées sur l’éveil précoce des tout petits dans le domaine du livre, du spectacle vivant, de la musique ou encore du cinéma. À partir de 1989, les salles ont fait leurs premières expériences en matière de programmation pour le très jeune public. Depuis, les initiatives se sont multipliées, des partenariats se sont développés, notamment avec les institutionnels.

 

Chaque participant a tout d’abord présenté le cadre dans lequel sont faites les propositions de programmations à destination des tout petits au sein de leurs structures respectives :

 

Tamara Savitsky-Midena fait remarquer que le fonctionnement des crèches départementales s’inscrit d’une part dans le contexte légal de la convention internationale des droits de l’enfant, qui comprend le droit à la culture, et d’autre part conformément à un projet culturel départemental. Afin de développer les actions menées dans le domaine du cinéma, un partenariat a été noué avec Cinémas 93 et la définition des critères propres aux crèches se fait en lien avec des psychologues et des pédagogues.

 

Chiara Dacco précise pour sa part que Cinémas 93 conçoit des programmes pour les 2-5 ans depuis 2002. L’association travaille en réseau avec 23 salles et 17 animateurs jeune public. La sélection artistique se fait avec eux mais une grande importance est donnée aux regards extérieurs. Un collectif de programmateurs a par ailleurs été créé pour les programmes « Petites fabriques », composé de représentants des structures suivantes : l’AFCA, Cinéma Public, Cinémas 93, Écrans VO, Enfances au cinéma (et Cinessonne pour le 2 programme).

 

Camille Maréchal précise que le festival Ciné-Junior (pour les 3-15 ans) a été créé en 1991 sur une initiative du Conseil Général du Val-de-Marne et à la demande des salles du réseau. Une très forte demande des salles du Val-de-Marne qui participent au festival se fait sentir depuis 4/5 ans pour les programmes destinés au très jeune public. Le festival a donc accru ses propositions. Plus d’une dizaine de programmes pour les moins de 6 ans sont proposés chaque année.

 

Sarah Génot explique qu’à son arrivée au cinéma L’Étoile de la Courneuve il y a sept ans, elle a été déroutée par une forte demande de séances spécifiques de la part des crèches, suite à un travail effectué avec ces structures d’accueil. À l’époque, il y avait peu de séances en direction des tout petits et l’idée de proposer des films pour cette tranche d’âge était nouvelle.

 

Nathalie Bouvier indique quant à elle que le Forum des Images travaille auprès du très jeune public depuis 1998 avec la programmation de ciné-concerts, dont les premiers « Babyrama ». En 2008, l’idée d’un festival a germé autour d’une programmation de courts métrages du patrimoine ou de la création contemporaine, couplée à la reprise de ciné-concerts existants : Tout-petits Cinéma. L’année suivante, le Forum des Images s’est lancé dans la création et la production de ciné-concerts qui ont pour particularité d’associer des films à des artistes du spectacle vivant.

 

Marie Bourillon évoque enfin le travail de distributeur : c’est le programme de films Les Contes de la mère poule, distribué deux ans après la création des Films du préau, qui a suscité une très forte demande. Cette société de distribution de films pour le jeune public se distingue par son travail d’accompagnement : des dossiers pédagogiques ludiques sont réalisés pour chaque programme et chaque film est intégralement mis en ligne sur son site.
La constitution de programmes se fait selon des critères de choix à chaque fois différents : pour Gros pois petits pois par exemple, les distributrices sont tombées « sous le charme » de l’animation en volume, « toute en poésie, douceur et perfection ». Pour En promenade, le fil rouge serait plutôt la « douceur de vivre ». Quant à La Balade de Babouchka, il s’agit d’un programme d’un producteur russe (Pilote Films).

 

Pour quelles raisons programmez-vous des films pour le très jeune public et selon quels critères choisit-on les films destinés à être montrés au très jeune public ?

Dans ces conditions, qu’est-ce qu’un bon film pour enfants ?

Camille Maréchal fait d’emblée remarquer que les réalisateurs des films que l’on sélectionne pour les tout petits n’ont généralement pas réalisé spécifiquement leur film pour ce public-là. C’est nous en tant que programmateurs qui le repérons comme adapté aux 2-5 ans.
L’exemple des ciné-concerts produits par le Forum des Images permet d’évoquer une approche originale : des artistes qui ne sont pas étiquetés « Jeune public » (La Féline, Joseph d’Anvers…) mettent en musique des programmes de courts métrages qui retrouvent ainsi une nouvelle jeunesse lorsqu’ils sont accompagnés d’une musique rock ou électro. Nathalie Bouvier explique qu’avec les images, le son et les musiciens en salle, « on arrive toujours à récupérer les enfants ».

Ces initiatives permettent, selon Camille Maréchal, de laisser place à l’imaginaire de l’enfant. La compréhension du récit n’est pas si importante.

Dans cette perspective, Chiara Dacco ajoute qu’il est tout à fait possible d’inclure des films expérimentaux dans un programme destiné aux tout petits, de même que des films des premiers temps, films à trucs, vues Lumière, personnages burlesques. Il faut ainsi éviter de projeter des peurs d’adultes quand on constitue un programme. Dans cette optique, le rôle défricheur des festivals est fondamental.
Dans la même perspective, les adultes (animateurs de centres de loisirs, parents,…) sont réticents à montrer plusieurs fois le même film aux enfants. Il faut que l’expérience soit unique alors que pour certains enfants, revoir un film est un besoin.

La table ronde s’est clôturée sur une série de questions du public :
– Est-il possible de dissocier les films d’un même programme (dans le cas des deux programmes des Petites fabriques, c’est possible et même prévu).
– Peut-on projeter des films diffusés en festivals mais n’ayant pas de distributeurs ?
– Le coût d’un ciné-concert tel que ceux produits par le Forum des Images (de 1500 à 2200 € avec les droits).

Table ronde 2 : « Accompagner : comment construire une séance de cinéma pour le très jeune public ? »

Animée par Véronique Soulé.

Participants :

Fatiha Allag et Laetitia Marin, éducatrices de jeunes enfants à la crèche Annie Fratellini, Pantin.

Natalie Biazzo et Carole Bontemps, enseignantes à la maternelle Mont Cenis, Paris.

Jérémy Bois, programmateur à Cinéma Public Films.

Sévérine Houy, responsable de l’Espace des Arts des Pavillons-sous-Bois.

Tamara Savitsky-Midena, puéricultrice, responsable de groupement de crèches au Service des crèches départementales de la Seine-Saint-Denis.

Frank Sescousse, responsable du secteur jeune public au Ciné 104.

Richard Stencel, chargé des animations et de la programmation jeunes publics au cinéma Le Figuier blanc d’Argenteuil.

Franck Sescousse a tout d’abord rappelé comment se déroule l’accueil du très jeune public en salle :
– Cheminement : arrivée et départ à pied (le plus souvent).
– Accueil au comptoir avec distribution de brochures, cartes postales, tickets…
– Installation dans la salle avec un rehausseur. Toutes les séances et tous les films sont présentés, avec un arrêt entre chaque film.
– La salle est également présentée : l’écran, le projecteur, pour que les enfants se sentent à l’aise. Afin d’appréhender le noir un signe fait avec les enfants au projectionniste permet d’éteindre la lumière et lance le début de la séance.
– Il est interdit de toucher l’écran mais une certaine liberté de mouvement est accordée. Les séances doivent être vivantes !
– Une phrase rituelle est prononcée en fin de séance : « C’est tout pour aujourd’hui ». Les enfants sortent de la salle pour goûter ou rentrer.
Pour les 18 mois-2 ans, le film suffit. Il semble inutile d’ajouter un atelier ou une animation particulière, sauf événement spécial (comme la clôture d’un cycle par exemple).

 

Jérémy Bois évoque ensuite le travail spécifique de la société de distribution Cinéma Public Films qui, depuis 2008, accompagne directement les films en salle. Du matériel est récupéré auprès des producteurs et réalisateurs (des décors, des marionnettes…) et une tournée dans près de 80 salles en France est organisée pour animer des ateliers pédagogiques. Il ne s’agit pas de se substituer aux animateurs jeune public, mais de les épauler, de façon ponctuelle. Cette animation ne coûte quasiment rien aux salles.

 

Séverine Houy revient quant à elle sur la création d’ateliers sensoriels en lien avec le programme La Petite fabrique du monde. Par exemple, pour le toucher, des matières diverses ont été disposées dans des boîtes (comme de la glace et de l’eau, en écho au film Bottle). Le but de l’atelier est que les enfants expriment les sensations liées aux images du film. Dans la continuité du court métrage What a light un projecteur a été installé pour projeter l’ombre des personnages des courts métrages réalisés avec des pochoirs. Comme il est très difficile de maintenir un enfant de deux ans en éveil « on réfléchit toujours en référence à une image : cela permet de donner une réponse quand ils n’ont pas les mots. Avec peu de moyens on peut faire beaucoup de choses ».

Du côté des crèches, la préparation à une séance en salle nécessite une logistique particulière. Fatiha Allag explique qu’un car est mis à disposition pour trois structures. Chacune bénéficie de seize places. Quatre séances sont organisées par an pour des enfants de la section des grands, par demi-groupes. Les parents sont évidemment prévenus. Les enfants sont sensibilisés un ou deux jours avant puis à nouveau le matin même. Un professionnel encadre deux enfants : il faut penser à les changer leur donner à boire, mettre les manteaux, les chaussures. Arrivé au cinéma, après le trajet en car, le groupe est accueilli par Franck Sescousse.

 

À l’école maternelle, le travail est pensé sur un temps qui inclut l’amont et l’aval de la séance :
Natalie Biazzo participe depuis 8 ans à Mon premier cinéma organisé par l’association Enfances au cinéma dont le programme évolue de la petite section à la grande section. Une première approche est faite à partir de l’affiche du film. Les séances ont désormais lieu au Louxor après plusieurs années au Studio 28, des « cinémas spectaculaires » (décoration impressionnante, sièges rouges, rideaux qui participent à la magie du moment). Les élèves voient trois séances par an : « le jour où on voit le film, on ne fait que ça ».
Après la séance, le film est revisionné en classe : « on travaille sur la narration, les matières, on refait des décors, des personnages en pâte à modeler. On travaille sur la création du mouvement à partir de photos, pour en faire des diaporamas puis des films ». Au cours de l’année, « l’œil s’aguerrit, un vocabulaire se met en place ».

 

Quel est l’impact de ces séances avec un accompagnement spécifique sur la vie des familles ?

La table ronde a suscité des questions de la part du public portant notamment sur la formation des accompagnateurs. Emmanuelle Devos, responsable de la Cinémathèque Robert Lynen de la Ville de Paris, a également évoqué un dispositif mis en place par la Cinémathèque qui permet à une centaine d’écoles parisiennes de bénéficier de projections de films en 16 mm dans leur préau une fois par mois.

 

La journée s’est achevée avec la projection du programme inédit La Petite fabrique des couleurs. Programme de sept courts métrages d’animation, conçu par les associations organisatrices de la journée, non distribué. À partir de 2 ans.