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Transmettre le documentaire

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Comment faire se rencontrer le cinéma documentaire et les publics des réseaux d’éducation à l’image ? Comment favoriser et organiser la rencontre avec les films, avec quels outils d’analyse ? Conférence de MP Duhamel-Muller.

Publié le 25/04/2017, Mis à jour le 26/07/2023

Dans le cadre des rencontres nationales du dispositif Lycéens et apprentis au cinéma, organisées à La Rochelle les 3 et 4 juillet 2015, Marie-Pierre Duhamel-Muller (programmatrice – ancienne directrice artistique du festival Cinéma du réel à Paris –, traductrice et sous-titreuse, enseignante) a proposé une intervention touffue et subjective sur le cinéma documentaire. Son point de départ est une nouvelle donne dans la relation des jeunes publics au cinéma et plus globalement à l’image, qui passe notamment par la pratique. Ce contexte touche particulièrement le documentaire, école de la patience et de la durée. C’est par l’analyse et la ré-interrogation des formes que peut se renouer un lien entre les publics et les films. Marie-Pierre Duhamel-Muller a ensuite illustré son propos avec l’analyse de plusieurs extraits, portant une attention toute particulière au son. 

Perplexité

Cette perplexité intervient face aux catégories et aux éléments qui peuvent présider à une distinction fiction-documentaire et, plus largement, à une approche pédagogique du cinéma. Avant Internet, avant les charters, avant la progression du niveau de vie, on apprenait des choses du monde par le cinéma. Les évolutions font que plus l’on approche des personnes en position d’apprentissage (de connaissance, du sensible, du plaisir) par les films, plus cette perplexité augmente. Il apparaît de nouveaux tracés et territoires, une nouvelle cartographie du cinéma, à propos de l’appréhension de son histoire, de sa vision, de sa fabrication.

Selon Aby Warburg, l’histoire de l’art peut se définir par la redécouverte du point de vue par lequel l’œuvre a été réalisée. L’une des difficultés rencontrée aujourd’hui avec le cinéma, et à l’intérieur de lui ce que l’on appelle le documentaire, est celle de son historicité – sa fabrication, sa diffusion, sa réception-vision. Le monde actuel a profondément modifié ses différents rapports : on est aujourd’hui en présence de flux d’images, et d’un accès complètement inédit à eux. En 1986, pour profiter de la rétrospective intégrale Boris Barnet au Festival de Locarno en Suisse, il fallait prendre le train pour s’y rendre. On y voyait les films projetés en copies en 35 mm, venues d’URSS. On repartait avec un livre (celui de François Albera, qui fait encore référence), et, sinon, avec rien d’autre qu’une mémoire de cette expérience des films de Boris Barnet.

La donne a fondamentalement changé, elle a même été bouleversée. Qui aujourd’hui décide de l’accès aux films ? Il y a un bien sûr le marché ; on peut compter sur des vogues médiatiques, des mouvements dans la critique ; on doit aussi ajouter le travail des festivals. Mais ce n’est jamais le cinéphile qui décide, pas davantage le directeur de cinémathèque. Il s’agit ainsi d’un ensemble d’instances diffuses parmi lesquelles le « curieux » doit faire son chemin. Mais ce chemin est particulièrement nébuleux. Au festival de La Rochelle, ce « curieux » peut aller voir un film, projeté en copie 35 mm, de la rétrospective Howard Hawks, puis regarder le match de la coupe du monde à la télévision dans un bar, quelques heures plus tard aller faire un tour sur Youtube, prendre éventuellement un dvd ou un Blu-ray restauré, ou payer sur un site de téléchargement, ou bien télécharger illégalement un autre film. Ces passages entre une diversité de supports et de pratiques peut sembler joyeux – le foisonnement, un côté ouvert et ludique : l’occasion d’un « gai savoir » sur le cinéma. Mais tout apparaît comme sur un même plan, dans une sorte de continuité où les œuvres vues ne le sont pas, dans la plupart des cas, telles qu’elles ont été faites lors de leur production et réalisation. Quels sont les liens entre les multiples entités de ce paysage dans lequel nous opérons ?

 

Contexte

Autre élément prépondérant : les jeunes gens à qui l’on s’adresse fabriquent en contrôlant toute la chaîne, de la production à la diffusion (les différentes plateformes à cet usage), en passant par le montage sur des logiciels libres comme imovie. Bref, ils pratiquent, alors qu’auparavant il s’agissait d’appréhender le cinéma par l’intelligence de sa pratique par d’autres, tandis que sa matérialité passait par l’usage du super-8, du 16 mm pour les plus nantis, avant la démocratisation via l’émergence et la massification de la vidéo. Ce rapport familier à la fabrication introduit de nouvelles donnes dans la perspective de l’éducation à l’image. Dans cette optique, il faut savoir que tous les outils sont aujourd’hui pré-programmés. Les caméras, les appareils photo (l’emblématique Canon 5D puis le 7D) et autres téléphones permettant de filmer, les logiciels de montage : tous proposent une gamme d’effets et de fonctions préconçus (à commencer par la balance des blancs). Ce sont des fonctions de fabricants, à l’opposé de l’invention de formes par celui qui pratique.

Il s’agit donc d’interroger ces fonctions, et c’est par l’analyse, notamment de la fabrication des images et des sons, que peut se nouer la transmission, la pédagogie. De là peuvent émerger des outils critiques permettant d’atteindre une relation convenable aux films. Les fonctions pré-programmées par les fabricants sont des émanations appauvries et bâtardes des inventions formelles des avant-gardes des années 1920. Ces formes qui ont été des vecteurs de libération des images et des sons – donc des pourvoyeuses d’imaginaires – sont devenues des « trucs » pour ne pas embêter le spectateur ; des formes passées à la moulinette (clips, infos, la télévision dans son ensemble, etc), mais qui sont, en même temps, le langage naturel du cinéma. Et ces formes sont aujourd’hui le contraire de l’émancipation, elles sont convoquées pour conserver le spectateur, comme si une entité abstraite – impossible à identifier précisément – avait décidé qu’il convenait que les images et les sons soient reliées par un volet et des pulsations rythmiques frénétiques.

Singularités du documentaire

Pourquoi le documentaire serait particulièrement affecté par ces évolutions ? Parce que dans son histoire, il a toujours été affaire de patience, de temps, de durée. L’Homme à la caméra de Dziga Vertov est certes monté sur un rythme que l’on peut qualifier de frénétique, mais il déploie des effets qui sont des gestes d’émancipation, les multipliant, remultipliant, démultipliant. En 1927, ces inventions libèrent le cinéma du carcan narratif dans lequel il est déjà pris à l’époque, notamment sous l’impulsion d’Hollywood. Et L’Homme à la caméra est lui-même la mise en question, en cause et en miroir du processus cinématographique – on y voit, notamment, la monteuse monter.

Entre « l’invention » hier et les « trucs » aujourd’hui, il y a une histoire. L’Homme à la caméra place d’ailleurs son mouvement sur celui du temps de la fabrication d’un film – les essais et tentatives, couper ou ne pas couper, la réception par le public… Son interactivité en fait le seul webdoc valable de l’histoire ; il ouvre constamment, fait sans cesse changer le spectateur de place. Il s’agit d’un film que l’on peut revoir, face auquel on est à chaque fois complètement libre, et dans une expérience totalement nouvelle. Bowling for Columbine de Michael Moore ne se revoit pas, ne laisse pas d’autres traces que « l’encaissement » de son sujet. Il emprunte à la rhétorique publicitaire : il vend des idées, ou des simulacres d’idées, ou des idées toutes faites. Dans le cas de Vertov, il n’y a rien à vendre (ou à acheter).

On rencontre une tendance très répandue voulant que les formes seraient une sorte de langage naturel : « cela va de soi parce c’est comme ça que l’on fait » ; que l’on raconte, que l’on montre, que l’on parle, au cinéma. Or ces formes doivent être soumises aux outils de l’analyse filmique. Par exemple, dans les documentaires, on rencontre très fréquemment une situation où l’on fait courir la parole (et le son) d’un plan à l’autre, l’image et le son sont, un temps plus ou moins long, désolidarisés. Les monteurs nomment cela « faire passer la coupe », au prétexte que « c’est plus fluide ». Ceci est devenu un truc – né à la télévision et développé par elle – que l’on rencontre sans cesse dans les documentaires dits de création. Quelque chose de tellement répandu qu’il n’est plus interrogé ou analysé. Mais pourquoi ne pas voir quelqu’un alors qu’on l’entend ? Il convient ainsi de revenir à des questions d’analyse fondamentales, s’appliquant particulièrement aux formes qui ne sont plus interrogées.

En reprenant les termes de Jean-Louis Comolli, un documentaire filme une relation, il n’y a souvent rien d’autre qui est filmé. Si le film est cette relation, il faut bien voir et savoir avec qui, et il convient donc de voir cette personne : son corps, son visage, sa bouche, ses expressions, ses gestes. C’est la différence entre le cinéma (documentaire) et l’information. Dans les catégories de l’analyse filmique, les questions les plus simples sont souvent les plus importantes ; dans ce contexte il importe de se demander ce qu’il se passe pendant que cette personne parle, et pourquoi on ne la voit pas. Qu’est ce que ça fait au filmé, et qu’est-ce que ça fait au spectateur ?

 

Archive, régimes d’images

L’archive n’existe pas concernant les images et les sons. Dans la définition canonique, les archives sont des actes notariés déposés dans un cadre légal: ce sont des papiers formatés, uniformisés, il n’y a pas le choix de mots. En cinéma on a toujours le choix (du cadre, de l’axe, de la coupe). Les choix ne sont déterminés, à la rigueur et relativement, que par la technique. Dans le cadre des archives audiovisuelles, elles sont tournées par des opérateurs, montées, commentées, émanant le plus souvent de commandes. De même que l’on ne parle pas d’ « archives familiales » mais de « films de famille », là encore avec une multitude de choix à l’œuvre.

Dans ce cadre, c’est la question du régime d’image, et non de l’archive, qui est posée. Et que fait le cinéaste de ces régimes d’images qu’il réemploie afin de mettre en place un autre récit ? Avec des images qui n’ont pas été tournées par le cinéaste intervient une prise de posture critique, une forme de distance plaçant les images pour nos yeux au présent, tout en retrouvant et questionnant les conditions de leur fabrication. Ceci entretient un mouvement dialectique entre l’histoire de la fabrication et l’histoire des regards – ceux du présent et ceux du passé. Le documentaire audiovisuel se sert des actualités filmées pour prouver : « ce jour-là il faisait beau à Paris » ; coupe, et plan d’actualité sur un ciel bleu… Qui, comment, pourquoi, où, quand ? Et pourquoi vouloir prouver avec des images qui ne prouvaient rien ?

 

L’expérience sensible de l’histoire

A partir d’un extrait de Blockade (Blocus) de Sergeï Loznitsa

Sergeï Loznitsa est un cinéaste ukrainien qui a commencé sa carrière par des films dits documentaires, dans une veine essayistique. Il a aussi réalisé deux longs métrages de fiction (My Joy, Dans la brume), et a présenté Maïdan, un documentaire, lors du dernier festival de Cannes. Blockade retrace en chapitres séparés par des noirs le récit du siège de Leningrad ; Loznitsa est allé chercher ce qui n’avait pas été utilisé par les films d’actualité. Ce film formule par les actes qu’il n’y a pas d’archives mais des images, et à travers elles du cinéma – ou pas de cinéma. Cette promenade-exhibition dans les rues de la ville de prisonniers allemands encadrés par quelques militaires soviétiques est constituée d’images tournées par des opérateurs qui fournissaient les actualités hebdomadaires. Par le montage, Loznitsa sort ces images de leur représentation informative, journalistique et propagandiste ; ce mouvement extirpe le matériau de ses conditions de production pour rendre au spectateur d’aujourd’hui l’événement lui-même, non pas comme quelque chose se passant au présent, mais comme cela a pu être vécu, et surtout comme cela peut être revécu aujourd’hui – c’est-à-dire en refaire l’expérience. Ces images ont été tournées en 35 mm et en muet. On ne peut pas considérer que Loznitsa sonorise ici dans un sens narratif, mais il s’agit de donner de l’air aux images ; dans cet air passent des voix, des bruits de circulation, etc. Cet « air » a été enregistré de nos jours sur un marché à Moscou. Cette matière ne rend pas sonore l’événement auquel on assiste, mais le fait accéder à quelque chose de tactile, sensible, dense.

Loznitsa dessine ici un petit récit de noir à noir, avec une dramaturgie (d’abord peu de gens, puis la foule dans le centre de la ville, avant d’aboutir à la campagne). Il cherche à créer une relation dialectique passé-présent, dans laquelle la séquence se voit pour elle-même, offrant une grande liberté au regard – chacun y trouvera son histoire, ses personnages. Ce film et cet extrait illustrent la grande capacité fictionnelle du cinéma documentaire. Loznitsa reprécise des éléments d’histoire, et d’histoire du cinéma – de la technique, de la commande, de la propagande (servie par les grands opérateurs de l’école soviétique, comme Roman Kamen). On acquiert plus que l’on voit, on peut nourrir d’autres films de ce film, qui nous rend conscient de l’histoire. Blockade nous dit avec force que face au documentaire (et au cinéma), il faut ouvrir les oreilles, affiner l’écoute, se poser la question de la distance du micro. Ceci est aussi essentiel comme outil de l’analyse – il faut que l’oreille voit autant que les yeux. Si ce film est source de distance critique, il est aussi affaire de plaisir et d’émotion : un art de la coupe ; la puissance et la beauté de l’opération cinématographique.

 

Voix intérieures

A partir d’un extrait d’Élégie de la traversée d’Alexandre Sokourov

Un film qui ouvre beaucoup de possibilités d’analyse et de sens – dans tous les « sens » du terme, sans excès de discours ou d’intention. Il s’agit d’un objet qui convoque autant l’oreille que l’œil : la voix du cinéaste (un récit-commentaire) ; une bande son rhapsodique (incluant le texte et cette voix) unie par un mixage particulièrement savant. Une multitude de choses émanent du son : la voix qui est autant un récit à la première personne qu’un commentaire de ce qui est vu ; une bande son dotée de multiples nappes (couches musicales, éléments atmosphériques).

Cet exemple permet de « combattre » une idée reçue, le fait que pour que ce soit documentaire, le film doit être naturaliste. C’est ici tout le contraire par cet assemblage d’images et de sons occasionnant le dialogue entre une intériorité et le monde – un monde où les ressorts de la psyché ont pris le pas sur tout, et un monde tel que Sokourov le voit et l’entend ; le documentaire n’est pas un enregistrement. Le film est ici fait de couches, de surimpressions, de torsions de l’image, autant de formes que l’on retrouve dans les différents films du cinéaste. Et comme tout film de Sokourov, Élégie de la traversée voit à travers le prisme d’une historicité – nous sommes des « êtres historiques » ; l’histoire est partout, dans chaque regard.

Sokourov construit ici une réalité documentaire du souvenir et du songe, crée un objet qui documente une réalité, mais avec l’invention d’une forme pour rendre tangible un monde intérieur. Ceci procède d’une suite de décisions techniques et esthétiques : le cinéma documentaire n’est pas un enregistrement. La question est aussi de savoir comment on enregistre. Ici la donnée esthétique du son est aussi technique puisque Sokourov se sert d’un vieux micro Bauman soviétique des années 1940, à grande membrane (le même micro qu’utilise un autre cinéaste, Claudio Pazienza), avec lequel il obtient cette proximité qui parle à chacun et à tous. Cet outil fait déborder la voix intérieure sur l’extérieur – c’est-à-dire vers le spectateur. La technique est au service d’une esthétique dessinant un voyage dans un monde intérieur ; la décision est autant technique qu’esthétique.

 

Dynamiques et mouvements internes des plans

A partir d’un extrait de D’Est de Chantal Akerman

Dans ce film, Akerman chemine de l’Allemagne vers Moscou, en passant de l’été à l’hiver. La séquence est composée de deux longs plans : l’un fixe, l’autre est un travelling. Dans le cadre du plan fixe, Akerman travaille le rythme interne du plan comme avec un métronome ; le plan respire et finit sur une inspiration. On respire avec le plan, on voit plus que ce qu’il y a ; le cadre est dynamique (il est parcouru par des courants électriques), sa composition renvoie à la perspective et aux fresques de la Renaissance. Ce plan est habité par des danseurs et des musiciens, traversé par d’autres flux (les serveurs qui passent). Grâce à l’intelligence de la coupe, il devient le mouvement de la vie, et les fictions surgissent, celles d’Akerman, les nôtres.

Le second plan est un long et lent travelling latéral réalisé dans Moscou, à la bonne hauteur – pour attraper assez du sol, pour inclure les personnages, des éléments d’architecture – et à la bonne vitesse. On commence sur une figure d’enfant en pied – qui fait rebond avec le couple dans le précédent – et se termine très près des gens (sans que la valeur du cadre n’ait bougé). Le réel danse de lui-même, il s’auto-chorégraphie, c’est la vie en elle-même, dans sa matérialité (le froid des trottoirs de Moscou). La grâce du cinéma, particulièrement documentaire (et ici celui de Chantal Akerman), permet de relier le bruit du monde à une expérience non vécue mais sentie.

 

La langue des films

A partir d’un extrait d’Isaac Babel de Hartmut Bitomsky

Bitomsky fait ici le portrait d’Isaac Babel, écrivain soviétique, auteur de Cavalerie rouge. Le point de vue linguistique est essentiel ici puisqu’il s’agit d’un cinéaste allemand occupé à faire le portrait d’un écrivain russe tout en travaillant pour une chaîne française. Plutôt que de feindre ou d’éviter, il en fait une matière (qu’il fait entendre dans l’extrait : le russe, puis l’allemand, puis le français), plutôt que d’entrer, par exemple, par la biographie.

Ce film pose donc la question de la langue, une question essentielle du cinéma, et du documentaire en particulier. Quelle langue parle le film ? Il convient d’interroger la langue maniée, parlée, dans le cinéma documentaire ; d’abord parce que depuis qu’il est sonore/parlant, le cinéma est un conservatoire de la langue, il agit comme une base de donnée de premier ordre, même s’il s’agit essentiellement de la langue des « dominants » – les langues « minoritaires » ont quant à elles été documentées par les ethnologues et anthropologues. Dans le cinéma passent aussi des âges linguistiques, la façon dont les corps parlent à différentes époques.

Dans la langue se manifeste un sens au-delà des propos, comment la communication prend forme entre les membres de l’équipe, entre cette dernière et les personnes filmées ? Parce qu’ils sont le plus souvent généreux, les personnages documentaires ont tendance à produire une forme linguistique audiovisuelle, comme des sortes de fonctions automatiques. Certains documentaristes multiplient les prises pour faire « décrocher » du format journalistique, afin de faire accéder à un autre niveau de langue, pour que le personnage trouve sa propre musique. Car il ne faut pas confondre improvisation et documentaire, ce dernier étant une relation entre les cinéastes et des personnes, les premiers faisant faire des choses aux seconds. On est aussi dans ce cas en présence de figures, de fonctions automatiques, de points de vue de cinéastes et de systèmes d’écriture. Ils doivent être aussi soumis à l’analyse.

 

Conclusion

Il y a une évolution anthropologique puissante ; nous n’avons plus le même regard, et encore davantage les publics auxquels nous nous adressons. L’éducation à l’image s’adresse à des yeux que ne « marchent pas pareil » ; il faut donc être conscient que si l’on a dans la mémoire de son regard les vibrations du 35 mm, les interlocuteurs ne l’ont pas. Comment ajuster ces différents regards, et les mémoires des regards ? Ceci passe par l’expérience des supports, un travail d’identification, ceci est aujourd’hui de l’ordre de la « rééducation ». Ces évolutions posent aussi la question de notre asservissement à la beauté, et celle de se rendre libre face à cet asservissement : comment ai-je été asservi ? Conquérir l’envie de l’interlocuteur d’aller voir lui-même, d’essayer, d’expérimenter, et de regarder – avec les yeux, et les oreilles.

Par Marie-Pierre Duhamel-Muller (programmatrice – ancienne directrice artistique du festival Cinéma du réel à Paris –, traductrice et sous-titreuse, enseignante

Pour aller plus loin

À propos des documentaires inscrits au dispositif Lycéens et apprentis au cinéma :

  • Réfutation de la dimension documentaire de Valse avec Bachir d’Ari Folman.
  • Une géographie restreinte est pointée : absence ou très faible représentation de films chinois (et asiatiques), russes et latino-américains ; L’Histoire du Japon racontée par une hôtesse de bar de Shohei Imamura est fortement conseillé.
  • Le fait qu’il n’y ait aucun film de Jean Rouch est relevé. Jaguar est donné comme particulièrement stimulant.

Quelques jalons bibliographiques et inspirations pour cette intervention :