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Retours d'atelier

Médiation autour des représentations de l’intime à l’écran

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Retour sur l’atelier de médiation proposé lors de la Rencontre nationale des Pôles d’éducation aux images qui s’est déroulée les 3 et 4 février 2025 dans le cadre du Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand.

Publié le 20/05/2025, par Aurélia Di Donato, représentante de l’association Les Doigts Dans La Prise 

Mis à jour le 30/05/2025

La Rencontre nationale des Pôles d’éducation aux images de 2025 avait pour ambition d’explorer les représentations de l’intime à l’écran et les manières d’en faire médiation.
L’atelier ouvrant la seconde journée était mené par deux membres de l’association Les Doigts Dans La Prise [1], Claudine Le Pallec-Marand et Aurélia Di Donato, et par Aurélie Ferrier, directrice de Cannes Cinéma [2]. L’objectif de ce temps de travail collectif était d’imaginer une médiation auprès de publics adolescents, à partir de trois courts métrages abordant une question liée au(x) corps et à l’intimité. Les films ont d’abord été projetés collectivement, puis trois groupes se sont formés, chacun ayant pour tâche de travailler sur un film. Voici un retour sur ces échanges.

Le mouvement #MeToo, l’évolution des regards sur les œuvres, la mise en place dans certains cas, comme au sein du Festival de Clermont-Ferrand en 2025, de trigger warning tâchant de ménager toutes les sensibilités avant la projection de films, sont des éléments qui nous poussent à nous interroger sur la manière dont la médiation des films doit être abordée dans ce contexte.

Peut-on accompagner les films de la même façon aujourd’hui qu’il y a dix ou vingt ans ? Comment devons-nous faire évoluer les discours et les pratiques de la médiation cinéma pour rester toujours pertinents ?
Ce sont ces questions que l’atelier proposait de travailler. Il a été choisi de se focaliser sur les publics adolescents, pour qui l’intime peut être un sujet d’autant plus sensible. 

Les trois films projetés à l’ensemble des participantes et participants en préambule de l’atelier mettent en scène des corps d’adolescents et de jeunes adultes avec d’autres corps, frontalement mais aussi hors champ.

 

Les trois courts métrages :

  • La Chamade, d’Emma Séméria, 10min
  • Pieds nus, de Sigrid Ruault, 4min26
  • Aïssa, de Clément Tréhin-Lalanne, 8min15

À l’issue de la projection, l’assemblée a été divisée en trois groupes. Chacun a été invité à suivre l’une des intervenantes pour entamer un travail d’environ une heure pour préparer une présentation du film à un public adolescent (fictif).

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La Chamade, réalisé par Emma Séméria

Le groupe de travail sur La Chamade était animé par Aurélie Ferrier, directrice de Cannes Cinéma. 

Ce film, réalisé par Emma Séméria en 2021, dure 10 minutes. Il raconte une journée de fin d’été entre un garçon et une fille de 15 ans, Camelia et Salah.

Camelia se confie à son ami et lui demande son aide, à l’approche de la rentrée des classes : elle aimerait s’entraîner à embrasser avec la langue afin de gagner en confiance vis-à-vis du garçon plus âgé qu’elle convoite. Salah, réticent au départ, finira par accéder à sa demande au terme de cette journée passée ensemble à se balader et discuter en pleine nature. 

 

Après un tour de table, l’ensemble du groupe de travail est tombé d’accord sur plusieurs points : 

Tout d’abord, ce film très doux ne présente pas d’images pouvant poser de difficultés et donne à voir une représentation positive des relations fille/garçon.

Le film est relativement facile à aborder tant en termes de narration que de sujet et aucun risque particulier n’a été relevé dans le cadre d’une éventuelle médiation.

La question du consentement y est abordée de manière légère, mais pour une fois c’est celui du garçon qui est attendu. C’est un des intérêts du film, il renverse habilement les rôles genrés habituels puisque nous avons affaire à une jeune fille qui est motrice de l’action et un garçon qui paraît plus sensible, sujet à l’importance des affaires du cœur. 

Le groupe a conclu par l’idée de proposer une présentation très courte qui ne nécessiterait pas de mise en garde du public en particulier, tout se jouerait plutôt dans un échange après la projection.

 

Ressources autour du film La Chamade : 

Pieds nus, réalisé par Sigrid Ruault

Pieds nus, réalisé par Sigrid Ruault

Le second groupe de travail animé par Claudine Le Pallec Marand, maîtresse de conférence, intervenante et formatrice en cinéma, s’est consacré au film Pieds nus

Ce film d’animation de 4 minutes, a été réalisé par Sigrid Ruault en 2024 au sein du dispositif Expériences animées [3]. Il s’agit donc d’un film engagé de prévention, une autofiction où la réalisatrice met en scène Ava, une jeune femme dont le partenaire fait fi du consentement pour lui imposer que leur rapport sexuel se fasse de façon non protégée. Ava ne réalise que le lendemain la blessure que cela lui occasionne. C’est dans la sororité qu’elle trouve finalement le soutien, réconfort et reconnaissance de sa douleur, nécessaires pour surmonter ce moment. 

Fait particulier, Sigrid Ruault a assisté à l’atelier, mais n’est intervenue dans les discussions qu’à la toute fin des échanges. Chaque personne a été invitée à citer une image du film en guise de tour de table inaugural. 

Cet exercice pourrait aussi être proposé au public à l’issue d’une projection pour entamer un travail collectif de compréhension des images, sans chercher à susciter les émotions, qui généralement, viennent spontanément. 

Certaines personnes ont ensuite fait part de leur difficulté au premier abord à bien comprendre le sujet du film. En effet, le film est très court et la scène de début, assez rapide, présente la question du préservatif par un dialogue imagé autour de mettre ou pas des chaussettes dans ses chaussures.
En fin d’atelier, la réalisatrice a partagé son étonnement face à ces remarques, arguant que de son point de vue la scène était très explicite. 

Puisque l’exercice consistait à imaginer une présentation du film à destination de publics adolescents, s’est posé rapidement la question de savoir s’il fallait y annoncer le sujet du consentement ou prévenir de la question des violences sexuelles. 

À l’issue d’un échange nourri, il a été décidé qu’il était préférable de ne parler que du consentement, afin de ne pas altérer l’horizon d’attente des spectateurs et spectatrices. Il a semblé plus pertinent de laisser de la place à la compréhension du public, à ses regards et de laisser la pensée éclore lors de l’échange post-projection, celle-ci n’en serait que plus forte. Quand bien même certaines personnes passeraient par une phase d’ignorance révélée, qui doit pouvoir s’exprimer dans un échange bienveillant, la médiation qui ferait suite à la projection de Pieds nus devrait impérativement aboutir à poser les termes de « violence sexuelle » et rappeler qu’il ne s’agit pas d’une opinion mais bien d’un fait.

Aissa de Clément Tréhin-Lalanne

Aïssa, réalisé par Clément Tréhin-Lalanne

Le troisième et dernier groupe était animé par Aurélia Di Donato, formatrice et représentante de l’association Les Doigts Dans La Prise. Il avait pour objet le film Aïssa de Clément Tréhin-Lalanne, réalisé en 2014 et d’une durée de 8 minutes. 

Parti d’un article du journal Rue 89, le réalisateur met en scène l’examen clinique que subit une jeune femme, Aïssa, en situation irrégulière sur le territoire français, afin de déterminer par l’étude de son anatomie si elle est majeure ou pas. Pratiqué par un médecin, l’examen a pour finalité de savoir si elle peut être légalement expulsée du territoire.

Le texte en voix off reprend l’authentique description de l’examen par le médecin présenté dans l’article ayant inspiré le film. Au fil de ce compte-rendu, les images nous présentent le corps d’Aïssa par morceaux, en gros plans, jusqu’à la nudité complète, dans la froideur d’un cabinet médical. 

Il a été proposé aux membres du groupe de travail de débuter par un tour de mots évocateurs du film. La plupart disaient bien la dureté et la froideur du film : « glaçant », « malaise », « intimité forcée » ou encore « corps découpé ». A contrario des deux autres films, Aïssa ne met pas en jeu les relations fille/garçon, mais celle d’un État, en l’occurrence la France, avec celles et ceux qu’il considère comme des corps étrangers. Il est question de la violence de ces relations. 

Dans le cadre d’une présentation de ce film, il est apparu nécessaire de recontextualiser le film afin d’expliquer la teneur de l’examen mis en scène. Certaines personnes se sont interrogées sur la pertinence de faire un rappel sur certaines pratiques ayant cours durant la traite des esclaves, en référence à un plan du film qui montre avec précision la dentition de la jeune Aïssa, mais finalement il a semblé plus pertinent de laisser cela pour la discussion d’après projection afin de laisser la possibilité à la salle d’évoquer cette référence d’elle-même. 

Un autre plan du film a fait naître des craintes, celui d’un téton filmé en gros plan pendant plusieurs secondes. À aucun moment, pas plus dans ce plan qu’un autre, le corps d’Aïssa n’est sexualisé par la caméra, mais la nudité frontale tend à poser de plus en plus de réticences pour certain·es jeunes. Pour autant il ne faudrait pas éluder la question en débat avec une salle et les interroger sur la nécessité de ce plan comme renforçant l’aspect documentaire du film et appuyant la violence de son propos.

Au bout du compte, le groupe a décidé que la présentation devrait insister principalement sur la construction cinématographique, le choix de la forme, du montage, au service de son sujet, afin d’inciter le public à y prêter attention pour amorcer la discussion qui suivrait la projection.

 

Ressources autour du film Aïssa : 

À l’issue de ces travaux en groupe, l’ensemble des participant·es s’est rassemblé en plénière afin que les rapporteur·ices puissent faire un rapide résumé des échanges ou une présentation d’un des films.

En conclusion de cet atelier, quelques pistes peuvent être tracées pour préparer l’exercice de médiation avec des publics jeunes sur des films pouvant mettre en jeu la question de l’intime. 

En premier lieu, il ne faut pas craindre les mots, les actes, les parties du corps mis en scène, et les éventuelles violences doivent être nommées, sans tabou. Passer par des mots peut permettre de ne pas être simplement dans l’émotion mais d’aller vers une analyse filmique collective. Revenir toujours au film, à ce qu’il montre ou pas et à comment est construite la mise en scène, ce qu’elle suggère ou provoque chez soi, sont autant d’axes qui préviennent les glissements vers des débats clivés, uniquement animés de passions diverses, ou pire au silence. 

Les émotions doivent être accueillies et entendues bien sûr, et pour que cela puisse se faire dans les meilleures conditions, il faut toujours bien poser le cadre des échanges en préalable. Il est important de rappeler que toutes les paroles sont les bienvenues, que l’écoute de chacun et chacune est une obligation.

On pourra aussi rappeler le contexte dans lequel a lieu la séance de cinéma et la durée dont on dispose pour mener les discussions. Le cadre n’est pas qu’une contrainte, c’est surtout ce qui peut rassurer et encourager les spectateur·ices à prendre la parole.

Par Aurélia Di Donato, représentante de l’association Les Doigts Dans La Prise

[1] Les Doigts Dans La Prise est une association créée en 2010 par un collectif de professionnel·les de l’action culturelle cinématographique, afin de permettre l’échange d’expériences et le partage autour des métiers de la salle de cinéma. L’association est aujourd’hui organisme de formation professionnelle.

[2] L’association Cannes Cinéma est exploitante (agrément du CNC) de trois salles municipales cannoises (Alexandre III, Miramar et La Licorne). La mission de Cannes Cinéma est de développer une animation cinématographique (projections, festivals, rencontres avec des professionnels, masterclasses…)  à travers la ville de Cannes, toute l’année et pour tous les publics. Cannes Cinéma porte également la mission de pôle régional d’éducation aux images.

[3] Le dispositif “Expériences Animées” est porté depuis 2020 par l’association COREADD NA et s’inscrit dans une démarche de prévention et de promotion de la santé mentale des adolescents et des jeunes adultes (12-25 ans).