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Les Inattendus, les coulisses du podcast de l’Acap dédié aux médiateur·rices du cinéma

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Dans “LES INATTENDUS”, Mélanie Ohayon tend le micro aux médiateur·rices de cinéma de la région Hauts-de-France, celles et ceux qui redoublent d’inventivité pour créer et maintenir un lien vivace entre les salles et leurs spectateur·rices sur tout le territoire.

Publié le 18/01/2024, par Mathilde Derôme et Mélanie Ohayon

Mis à jour le 18/01/2024

L’Acap – pôle régional image a co-produit et réalisé en 2023 une série de 6 podcasts donnant la voix à des médiateurs et médiatrices en salles de cinéma des Hauts-de-France. Mélanie Ohayon, qui a porté le projet, nous en raconte ici la genèse et le processus de réalisation.

Les Inattendus, en deux mots, qu’est-ce que c’est ? 

C’est une série de podcasts pour faire découvrir des métiers peu connus du cinéma.
Pour cette saison 1, nous avons choisi un métier propre à la salle de cinéma : le·la médiateur·rice.

 

Pourquoi avoir choisi de mettre en avant la parole de médiateurs et médiatrices ?

La médiation en salle de cinéma est un métier assez peu connu. Peu connu du grand public d’une part, mais même dans le milieu professionnel du cinéma, on se rend compte que l’étendue des tâches et des missions de ce métier n’est pas toujours bien mesurée.

Il existe beaucoup d’écrits sur la médiation de l’art contemporain par exemple, mais pour le cinéma et la salle de cinéma en tant que lieu de diffusion culturelle, c’est plutôt récent. Peut-être parce qu’on a longtemps eu l’impression que le film se suffisait à lui-même.

Maintenant qu’il existe une diversité d’endroits et d’écrans où l’on peut voir des films, on constate que la sortie en salle est aujourd’hui moins évidente. On sent que la salle se doit désormais d’apporter autre chose qu’un simple visionnage de films.

C’est là que la place du·de la médiateur·rice prend toute son importance.

Mélanie Ohayon au micron du podcast Les Inattendus, interview de Marie

Marie interviewée par Mélanie Ohayon au micro du podcast « Les Inattendus ». 

Pourquoi avoir choisi la forme du podcast ?

Déjà parce qu’à l’Acap on est curieux ! et qu’on voulait favoriser un nouveau médium autre que l’image.

Et aussi parce que le podcast permet d’entrer dans une forme d’intimité avec les gens. Poser un micro dans une salle de cinéma nous permet de passer un moment avec le·la médiateur·rice et de mieux retransmettre ce qu’ils·elles vivent au quotidien.

 

Il s’agissait de votre première expérience de réalisation d’un podcast, pouvez-vous nous raconter comment vous vous y êtes pris ?

Nous avons choisi de nous associer avec une structure professionnelle : Narrason, qui est non seulement créatrice de podcast, mais aussi spécialisée dans le cinéma.

Nous avons beaucoup échangé avec eux au préalable. Au début, il s’agissait d’une simple demande de conseils, puis, au fur et à mesure, nous sommes entrés dans une véritable co-production. Ils ont trouvé le projet très intéressant, en cohérence avec leur ligne éditoriale et dans une forme qu’ils n’avaient pas encore testée.

Ils nous ont apporté l’expertise technique, dans un domaine dans lequel nous étions assez vierges. Ils nous ont apporté les ressources humaines pour la prise de son, ainsi que pour le montage. 

Le montage a été l’une des étapes clés : même si l’écriture des épisodes était préparée en amont, il y a eu un gros travail de réécriture lors du montage. Par exemple, sur un épisode de 15 à 20 min, on a un enregistrement qui dure près d’une heure trente. Toute la difficulté est de tirer l’essence de cet échange : cela passe autant par les mots de l’entretien que par les sons d’ambiance et le son de la personne en train de faire son travail.

L’objectif était de garder l’authenticité de la personne, de faire sentir sa personnalité, tout en étant très condensé. C’était la difficulté et on s’est bien complété au niveau du montage avec Narrason.

Mélanie Ohayon et Narrason

Comment se sont déroulés les enregistrements ?

Chaque personne a été appelée en amont. Pour nouer une certaine connivence entre nous et puis pour les convaincre de l’intérêt de la démarche.

En général, ce sont des personnes qui parlent très peu de leur métier. Il a donc fallu d’abord une phase de mise en confiance pour leur faire comprendre qu’ils·elles étaient tout à fait légitimes pour parler de ce qu’ils·elles faisaient. Souvent, on n’a pas de vision de ce qu’est leur travail. On a l’impression qu’aller au cinéma, c’est simplement s’asseoir dans la salle et regarder un film. On n’a pas conscience de toute l’énergie et de toutes les stratégies déployées par les médiateur·rices.

Il y a eu aussi une phase de casting. On a essayé de choisir des salles de cinéma assez diverses par rapport à leur territoire. Ce sont toutes de petites salles arts et essais, mais avec des réalités de territoire assez diverses. On a aussi cherché des profils qui avaient déployé des actions de médiation originales, des personnalités qu’on m’avait recommandées.

Ensuite, ont eu lieu les rendez-vous sur place. Tous les enregistrements se sont faits dans la salle de cinéma. Ce qui a amené à beaucoup d’aléas d’enregistrements. Par exemple, dans certaines salles, il y avait des souffleries ou des gens qui arrivaient en plein milieu d’interview. Dès qu’on enregistre, on entend tout à coup plein de choses.

Je passe un long moment avec la personne qui est sur son lieu de travail et donc au travail. Et même si la personne s’est organisée pour nous recevoir, ce sont des personnes qui sont souvent sollicitées. C’était un peu rock’n roll parfois. La plupart du temps, les interviews se faisaient entre le lancement de la séance et la fin de la séance. Des fois c’était un peu serré, et on reprenait après. On s’est adapté à l’emploi du temps de la personne.

Une interview, ce n’est pas toujours évident, et les gens ne sont pas naturels. Pour arriver à avoir un son propre, il faut un micro assez près de la bouche. Et pour que les échanges soient fluides, il faut réussir à oublier le micro. Dans l’idéal, ça nécessiterait beaucoup de temps d’enregistrement, mais on ne peut pas se le permettre parce que ça démultiplie le temps de montage. Donc, il faut réussir à mettre à profit tous les échanges préalables qu’on a eus pour entrer tout de suite dans le vif du sujet.

Les premières fois, c’est moins facile et au fur et à mesure, on s’aguerrit toujours un peu plus. Par exemple, on fait davantage attention à nos tics de langages, aux répétitions, aux questions ouvertes, à laisser le temps aux réponses de se déployer, essayer de ne pas trop contraindre les réponses tout en ne laissant pas trop ouvert pour que ce soit gérable ensuite au montage, etc.

Même si ce sont des gens qui ont l’habitude de prendre la parole en public, là, c’est différent, parce qu’on leur demande de parler d’eux. Il faut trouver des choses qui les caractérisent : ce qui les a marqués en tant qu’individu, ce qui a développé leur goût au cinéma. Ils·elles n’ont pas toujours conscience de ce qui les a amené·es là aujourd’hui, donc il faut arriver à faire ce chemin arrière avec eux·elles. Parler de ce qu’on fait tous les jours, c’est plutôt facile, mais ce n’était pas le plus intéressant. On voulait savoir qui ils·elles étaient, car c’est un métier qui au final est très lié à la personnalité de celui ou celle qui le pratique.

 

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans les témoignages ?

Ils m’ont tous marqué d’une certaine manière, parce qu’ils·elles ont tous une façon de faire qui est différente.

Ce qui me marque, c’est de voir à quel point ce sont des gens qui incarnent la salle. Ils·elles sont la voix de la salle. Il y a une telle connivence entre eux·elles et les spectateurs que ça en est touchant. On sent bien que les gens ne viennent pas que pour le film. Ils viennent aussi pour échanger avec le médiateur ou la médiatrice. Ils ne savent pour autant exactement ce qu’est le métier de médiateur·rice, mais pour eux, c’est la personne ressource. Les médiateur·rices imaginent des choses pour les accueillir au mieux, comme l’ on ferait pour accueillir des ami·es chez soi.  Les médiateur·rices donnent de la chaleur à la salle de cinéma.

Par exemple Céline Hugues, qui est à Bailleul dans le Nord, quand elle me dit « je m’enferme sous la scène avec une lampe torche pour leur raconter une histoire comme une petite mise en bouche pour le film qu’ils vont voir », je me dis, chapeau, il faut y aller quand même pour embarquer tous ces petit·es spectateur·rices. Et elle raconte ça avec tant de jovialité et de bonheur, qu’on n’a qu’une envie, c’est de la suivre !

Ils·elles mettent des paillettes là où il n’y en a pas toujours. Ils·elles ne font pas qu’un métier. Ce n’est pas parce qu’Ils·elles sortent de la salle qu’Ils·elles ne travaillent plus pour la salle. Ils·elles sont intégré·es à un territoire et ils·elles font vivre ce lieu cinéma, en interaction constante avec les habitant·es. Il y a toujours quelqu’un dans la rue qui peut les interpeller pour leur demander ce qu’il y a au cinéma. Par exemple, Vincent de Villers-Cotterêts, on l’appelle Monsieur Cinéma ! J’ai découvert à quel point il y a une porosité entre la vie personnelle et la vie professionnelle. 

Même si ce sont des gens qui ont l’habitude de prendre la parole en public, là, c’est différent, parce qu’on leur demande de parler d’eux. Il faut trouver des choses qui les caractérisent : ce qui les a marqués en tant qu’individu, ce qui a développé leur goût au cinéma. Ils·elles n’ont pas toujours conscience de ce qui les a amené·es là aujourd’hui, donc il faut arriver à faire ce chemin arrière avec eux·elles. Parler de ce qu’on fait tous les jours, c’est plutôt facile, mais ce n’était pas le plus intéressant. On voulait savoir qui ils·elles étaient, car c’est un métier qui au final est très lié à la personnalité de celui ou celle qui le pratique.

Pourquoi avoir choisi ces 6 médiateurs·rices ? Qu’est-ce qui vous a marqué dans chacune de ces rencontres ?

 

Marie, c’est son énergie débordante, très communicative. Elle appelle tous les spectateur·rices par leur prénom. Ça fait quelques années maintenant qu’elle travaille dans ce domaine, et pourtant elle n’en revient toujours pas. Pour elle, travailler dans une salle de cinéma, c’est un peu comme un rêve éveillé.

 

Dimitri, c’est son côté très proche des spectateur·rices et très rassurant. C’est pour ça qu’on a appelé l’épisode « le doudou des spectateurs » ! C’est un passionné de cinéma, qui ne vient pas d’une famille qui lui aurait transmis cette passion. Son premier film marquant a été Pulp Fiction, et à partir de là, il est devenu une machine à avaler des films. Pour lui, il se doit de relayer cette passion aux autres.

 

Alexis a un côté beaucoup plus cartésien. Ce qui m’a surpris chez lui, c’est son carnet de notes : il y inscrit tous les films qu’il voit et leur attribue des notes. Et chaque année, il fait son top 10. Il a maintenant des dizaines de carnets remplis de titres. Dans son bureau, où nous avons fait l’interview, il a les affiches de son top 10 de l’année !

 

Eloïse aime beaucoup le jeune public. C’est une passionnée. Elle a une voix toute douce quand elle nous parle et dès qu’elle est dans la salle face au public, elle prend tout à coup une place débordante, elle a la voix qui explose. On sent qu’elle est investie. Ça, ça m’a surprise quand je l’ai découverte en train de faire son travail.

 

Céline, c’est l’humour décalé. A Bailleul, il existe une grande tradition du carnaval. Avec l’équipe du cinéma, ils·elles ont l’habitude de toujours tourner les choses à la dérision. On peut découvrir dans le podcast de multiples anecdotes étonnantes. Un exemple : dans le nord la bintje, c’est une patate. Ils·elles se sont amusé·es, pour une séance en lien avec les séries, à mettre en vitrine du cinéma des pommes de terre qui faisaient du « bintje-watching », en référence au « binge-watching », qui décrit le visionnage boulimique d’épisodes de séries. 

 

Vincent, c’est celui qui faisait des études de sport, qui a fait un stage dans la salle de cinéma de Villers Cotterêts et qui finalement n’en est jamais reparti. Ça fait 20 ans qu’il travaille là et maintenant, dans la rue, on l’appelle Monsieur Cinéma !

Dimitri, Médiateur en salle de cinéma. 

A qui s’adresse ce podcast ? Comment vos publics peuvent s’emparer de cette ressource ? 

Le podcast s’adresse avant tout aux professionnel·les, notamment aux médiateur·rices qui peuvent y piocher des idées de médiation, mais aussi aux enseignant·es ou animateur·rices par exemple, pour mieux comprendre le fonctionnement d’une salle de cinéma et leur donner envie d’aller à la rencontre de leur salle de proximité.

Mais on a essayé de faire un podcast qui soit aussi tout public, en évitant le jargon trop professionnel, pour permettre à tout à chacun de découvrir ce métier-là. Pour éventuellement susciter des vocations auprès de personnes qui écouteraient ce podcast.

 

Pourquoi avoir choisi le nom des Inattendus

Quand on travaille avec l’humain, il y a toujours une part imprévisible. Même si les médiateurs et médiatrices ont préparé leur séance et anticipé, il y a toujours quelque chose qui ne se passe pas comme ils·elles l’avaient imaginé !

 

Ce podcast est sorti une fois par mois à partir de janvier 2023. Quels retours avez-vous pu avoir ? 

J’ai eu des retours de professionnel·les culturel·les qui ne connaissaient pas ce métier et nous ont dit avoir apprécié rentrer dans un univers, dans une ambiance in situ.

Pour les médiateurs et médiatrices qui ont été interviewé·es, ce podcast leur a été très utile. Ils·elles ont été très content·es de pouvoir enfin montrer de l’intérieur en quoi consiste leur métier. Ils·elles se sont sentis valorisé·es, parce que le podcast met en lumière la complexité de ce travail. Il ne s’agit pas simplement d’ouvrir une salle, il y a plein de choses derrière. Et ils·elles ont trouvé que leur personnalité et leur réalité de travail ont été respectés.

Le podcast a été relayé en région et au niveau national, par des partenaires comme l’AFCAE ou le CNC, et aussi par l’intermédiaire de Narrason qui était déjà visibilisé en tant que chaîne de podcasts spécialisée dans le domaine du cinéma.

 

Avez-vous d’autres perspectives de séries sous ce format ? 

Oui, il va y avoir une saison 2, à la découverte d’une autre profession du cinéma qui est peu mise en valeur. Mais je laisse encore planer le mystère !

Par Mathilde Derôme, Coordinatrice hors temps scolaire – mission de pôle régional d’éducation aux images et Mélanie Ohayon, Cheffe de projet communication et contenus éditoriaux

Pratiques

  • Le podcast est accessible sur : 

– le site de l’Acap – pôle régional image : https://www.acap-cinema.com/les-inattendus/

– le site de Narrason : https://narrason.fr/tag/podcast-cinema-les-inattendus/

– toutes les plateformes de podcast (Spotify, Apple Podcast, Deezer, YouTube…).

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