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Artistes et action culturelle : le statut de l’artiste-intervenant·e

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Synthèse de la table ronde « L’artiste-intervenant.e » en question(s) » organisée lors des Journées professionnelles de Cinémas 93, le 22 novembre 2022 au Ciné 104 (Pantin)

Publié le 17/02/2023, par Jonathan Comnene Mis à jour le 04/08/2023

L’idée que l’art doit faire partie de la formation des enfants et des adolescent·e·s est aujourd’hui communément admise. L’action culturelle est un secteur en plein essor : les demandes sont de plus en plus nombreuses et la médiation culturelle se professionnalise, attirant des profils variés. Parmi ces profils, il y a les artistes, auxquels les institutions font souvent appel pour intervenir, notamment auprès du public scolaire.
L’idée, pourtant, ne va pas de soi. La médiation, en effet, implique une méthode et des connaissances, et s’adresse à des publics spécifiques. Les artistes sont-ils les mieux placés pour assurer cette fonction ? Peut-on apprendre à être médiateur ? Plus généralement, doit-on considérer que l’artiste a un rôle social au-delà de son acte de création ? Ces interrogations seront au cœur de l’échange qui va suivre autour de la figure de « l’artiste-intervenant·e».

Intervenant·e·s :

Catherine Alvès, artiste plasticienne et réalisatrice
Laurence Berreur, directrice adjointe des études à la Fémis, coordinatrice de la formation AIMS (Artiste Intervenant en Milieu Scolaire)
Sébastien Betbeder, scénariste et réalisateur
Pierre-Jean Delvolvé, scénariste et réalisateur
Pascal Mény, responsable de la formation des enseignants et de l’accompagnement des dispositifs d’action culturelle au sein de l’Éducation nationale
Élise Tamisier, formatrice et intervenante en éducation à l’image au sein de l’association Compagnie d’Avril

Artistes et action culturelle : le statut de l’« artiste-intervenant »

Table ronde « L’artiste-intervenant·e » en question(s) » organisée lors des Journées professionnelles de Cinémas 93 en 2022. 

Devenir intervenant·e quand on est artiste : pourquoi ?

La première question est celle de la motivation qui invite les artistes à faire un pas vers l’action culturelle. Qu’est-ce qui les pousse à devenir médiateurs de leur propre pratique ? On pourrait en effet penser que les artistes ont pour fonction et compétence premières la création, et que la transmission relève du domaine de l’enseignement et des professionnel·le·s de la médiation.

Différentes raisons, souvent mêlées, engagent les artistes dans cette démarche. On retient parmi les témoignages des participant·e·s :

  • L’aspect matériel : l’intervention est un complément de revenus qui permet aux artistes de rester proches de leur pratique.
  • L’appartenance à un réseau : les artistes sont appelés par un établissement qu’ils ont fréquenté par le passé, ou par d’autres artistes déjà intervenants.
  • L’obtention d’une bourse : les aides à la création ont parfois pour corollaire ou contrepartie l’animation d’un atelier.
  • Le besoin d’occuper de façon constructive les temps de latence inhérents à la pratique artistique (en particulier dans le cinéma).
  • L’attrait de la rencontre : c’est l’occasion d’être au contact de nouveaux interlocuteurs, jeunes ou appartenant à des univers socioculturels différents.

 

Former les artistes-intervenant·e·s

Que les artistes deviennent intervenants au hasard de leur évolution professionnelle ou suite à une démarche volontaire, une question se pose : celle de leur formation. En effet, si l’expérience peut être attirante, ils n’y sont pas forcément préparés. Mais est-ce que la pratique de l’intervention s’apprend ?

Trois exemples de formation sont présentés :

Une formation pour les artistes en début de carrière : le dispositif AIMS (Artiste Intervenant en Milieu Scolaire)

Laurence Berreur témoigne en tant que directrice adjointe des études à la Fémis, où elle coordonne le dispositif AIMS. Initié en 2011 par l’école des Beaux-Arts, ce dernier a été étendu en 2016 à quatre autres grandes écoles d’art parisiennes (Arts décoratifs, Conservatoire national d’art dramatique, Conservatoire national de musique et de danse, Fémis). Il a pour objectif de donner aux artistes des outils pour mettre en pratique leurs compétences auprès d’un public spécifique, les enfants et adolescents d’établissements scolaires classés REP (Réseau d’Enseignement Propriétaire).

En échange d’une bourse de 12 000 euros, on demande aux artistes de mener à bien un projet avec des élèves durant une année scolaire, tout en partageant leur pratique artistique.

En amont, ils reçoivent une formation théorique de deux semaines. Elle porte sur la notion de médiation culturelle, son histoire, et sur la manière d’aborder l’art dans un contexte spécifique.

 

Le CFPI (Centre de formation des plasticiens intervenants) : préparer à intervenir dans des structures spécifiques

Il existe trois Centres de formation des plasticiens intervenants (CFPI) labellisés par le ministère de la Culture. Ils dispensent une formation qui s’adresse à des stagiaires aux profils divers, encore étudiants ou engagés dans la vie professionnelle. Cette formation vise l’acquisition de compétences didactiques en vue de l’intervention auprès de publics diversifiés. Elle renseigne les artistes sur les structures dans lesquelles ils vont être amenés à intervenir : milieu scolaire, carcéral, hospitalier, associatif, etc.

Catherine Alvès, qui a bénéficié de cette formation à la Haute École des Arts du Rhin à Strasbourg (HEAR), considère qu’elle lui a permis de prendre de la distance avec sa pratique  en clarifiant des problématiques qui se posaient dans ses ateliers.

 

La Compagnie d’Avril : une formation par les artistes eux-mêmes

La Compagnie d’Avril est une association basée à Martigues, regroupant des artistes-intervenants insérés dans le réseau des Pôles régionaux d’éducation à l’image. Elle s’est structurée en organisme de formation en 2015, lorsqu’est apparu le besoin pour ces artistes de clarifier certains aspects de leur activité (outils pédagogiques, rémunération, statut…).

Comme son nom l’indique (« D’une pratique de l’image à une pratique de l’éducation à l’image »), cette formation a pour particularité d’être fondée sur la pratique artistique. Il s’agit de mettre en commun des pratiques d’intervention afin de les questionner, avec en arrière-plan, des points théoriques sur l’éducation à l’image et une réflexion sur le statut de l’artiste-intervenant·e sur le plan juridique et administratif.

 

Obstacles et difficultés

La formation est une chose, mais la réalité de l’intervention en est une autre. En situation, les artistes-intervenant·e·s se retrouvent souvent face à des problématiques que seule l’expérience permet d’anticiper.

 

Des publics nouveaux

La réalité de la médiation consiste pour les artistes à se retrouver face à un public « autre ». La rencontre avec ce public les conduit presque toujours à réévaluer leur projet pédagogique. C’est une dynamique de co-construction passionnante, mais parfois difficile à appréhender : il faut s’adapter aux imprévus, être capable de tout remettre en cause.

 

Des structures contraignantes

Le plus souvent, les obstacles naissent de la réalité de l’établissement où l’artiste intervient. C’est particulièrement vrai dans l’Éducation nationale, où une foule d’événements liés à la vie scolaire (départ d’un enseignant référent, renvoi d’un élève, problèmes matériels…) peuvent infléchir la dynamique d’un atelier.

 

Un statut ambigu

Parce qu’il n’est pas un enseignant, l’artiste-intervenant·e n’est pas vraiment à sa place devant une classe. Réciproquement, les élèves ont souvent du mal à comprendre son rôle : pour eux, c’est un prof. Cette frontière ténue, y compris pour les enseignants référents, conduit l’artiste à prendre en charge des questions qui ne relèvent pas de son domaine, comme la discipline ou l’évaluation.

 

Un nécessaire engagement

Lorsqu’un atelier ne fonctionne pas, c’est parce qu’il y a un défaut d’engagement : manque d’engagement de l’artiste-intervenant·e (rare), manque d’engagement des élèves, le plus souvent manque d’engagement de l’enseignant avec lequel l’artiste est censé travailler. C’est pourquoi il est essentiel que les enseignants impliqués poursuivent dans leurs classes le travail conduit par les artistes en atelier, en construisant des liens.

Artistes et action culturelle : le statut de l’« artiste-intervenant »

Table ronde « L’artiste-intervenant·e » en question(s) » organisée lors des Journées professionnelles de Cinémas 93 en 2022. 

Différents types d’action culturelle ?

L’action culturelle recouvre des pratiques très diverses. C’est ce qui la rend parfois difficile à appréhender. Qu’y a-t-il de commun entre un atelier thématique basé sur des extraits de films commentés, et un atelier consistant à fabriquer un court-métrage ?

Cela étant dit, on se rend compte que souvent, les ateliers pratiques nécessitent un travail théorique en amont. La réalisation de films en atelier est souvent précédée de séances de visionnage. En effet, partager des œuvres éveille la créativité et permet d’ouvrir des perspectives. L’artiste-intervenant·e est un médiateur : son travail passe donc aussi par l’histoire, l’analyse, le partage de sa passion.

Il y a des exceptions : le projet que mène Catherine Alvès avec l’association Thermos au sein d’une maison de quartier de Valence – un projet participatif qui implique les habitants dans la fabrication de films basés sur des recettes de cuisine – montre que la médiation peut passer par le biais de la seule co-création.

Dans ce cas, la transmission est réciproque, car la fabrication du plat cuisiné, comme celle du film, est collective et transversale, aucun participant n’étant assigné à un rôle. Le rôle de l’artiste est alors moins de diriger l’atelier que d’accompagner les participants, et de laisser faire.

 

Au cœur de la médiation : la rencontre et l’engagement

La médiation consiste à faire se rencontrer des univers différents. En chemin, lorsque le dispositif fonctionne, le regard de chacun des participants est modifié : sur le territoire, sur l’autre, sur soi. Parce que les artistes abordent les choses du point de vue de l’émotion, parfois de l’échec, leur présence au sein d’une école peut permettre aux enseignants de découvrir des élèves, et à ces derniers de changer l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Cela peut également modifier le regard que portent les parents sur l’école.

Une autre vertu de l’intervention est de faire comprendre que l’engagement compte plus que la réussite. L’artiste-intervenant·e peut donner confiance, envie d’entreprendre. En ce sens son action a une dimension citoyenne.

 

Quand l’intervention nourrit la pratique artistique

Co-construction, co-création : la clé d’une médiation réussie passe par un engagement mutuel. Dans quelle mesure cet échange, au-delà des rencontres humaines que suscitent les ateliers, peut-il aussi être profitable à l’artiste-intervenant·e ?

L’exemple de Planète triste, un film que Sébastien Betbeder a réalisé en 2021 dans le cadre d’un atelier au lycée Romain Rolland d’Ivry-sur-Seine, est en ce sens très parlant. Ce court-métrage de 30 minutes raconte l’histoire de Rémi, réalisateur en difficulté, qui accepte de diriger un atelier cinéma dans un lycée de banlieue. D’abord catastrophique, sa relation avec les lycéens se transforme au fil des semaines en un échange réconfortant.

Après plusieurs expériences peu concluantes au sein de l’Éducation nationale, Sébastien Betbeder a accepté cette proposition parce qu’elle était différente : la commande n’était pas de faire un film collectif avec un groupe de lycéens, mais de faire un film en son nom propre, avec le concours des lycéens impliqués comme techniciens ou comédiens. Un positionnement clair qui s’est révélé enrichissant pour les élèves et libérateur pour lui. Dans cet atelier, il a trouvé l’occasion d’amener sa réflexion de cinéaste au sein d’un dispositif éducatif.

 

Conclusion

Si son statut soulève des questions, le rôle de l’artiste-intervenant·e comme acteur à part entière dans le domaine de la médiation culturelle est pleinement justifié. Non seulement l’artiste vient avec une pratique, mais il est également porteur d’une parole incarnée de manière spécifique, que les publics gagnent à entendre en plus de celle des médiateurs professionnels.

Les difficultés qui surgissent parfois dans l’action de l’artiste-intervenant·e sont justement liées à son caractère hybride. L’artiste peut se découvrir inapte à faire entrer sa pratique dans un contexte autre qu’une structure artistique, ou en ressortir frustré. Du point de vue des publics, la particularité de son statut peut n’être pas perçue.

Ces difficultés restent marginales. Cependant, même si en définitive, l’expérience prime, elles attirent l’attention sur l’importance de former les artistes sur la pratique de l’intervention en milieu spécifique, mais également les professionnels chargés de les accueillir et de « faire vivre » leur intervention.

Enfin, sur le plan statutaire et juridique, un encadrement plus clair de cette nouvelle facette du métier d’artiste s’avère nécessaire.

Par Jonathan Comnene