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Comment les acteurs de l’éducation à l’image se posent la question du numérique ? En quoi le numérique questionne-t-il nos pratiques ? En quoi transforme-t-il nos actions ? Quels enjeux révèlent-ils autour des pratiques contemporaines de l’image ? Pour répondre à ces questions, trois intervenants en éducation aux images, Emmanuel Roy, Frédérique Hammerli et Clément Dorival s’appuient sur leur expérience d’atelier « La maison et le monde ». Un atelier qui utilise les outils numériques du quotidien, pour questionner, justement, par le cinéma, « ce que nous faisons de ces outils numériques et ce qu’ils font de nous ».

« La maison et le monde » : C’est quoi ?

L’atelier de cinéma « La maison et le monde » s’est déroulé pendant 5 ans, de 2015 à 2019, auprès d’étudiants de la spécialité Etudes cinématographiques de la classe préparatoire littéraire du lycée Mistral d’Avignon. Il avait pour objectif la création de courts-métrages par duos ou trios d’étudiants, réalisés à partir des outils numériques du quotidien : smartphone, web et webcam.

Nous sommes trois à avoir conçu et animé cet atelier : Frédérique Hammerli (enseignante de cinéma), Clément Dorival et Emmanuel Roy (réalisateurs de films documentaires), réunis au sein d’Anamorphose, une association dédiée à la création documentaire. Nous collaborons tous les trois sur différents projets d’atelier de cinéma depuis plus de 10 ans. Nous avons expérimenté différentes formes avec des publics divers, mais nous partageons tous les trois un point de départ commun au moment de penser un projet d’atelier : il doit amener chaque participant à questionner sa relation aux images comme son rapport au monde et aux autres. C’est, pour nous, à cet endroit que prend sens un atelier, conçu comme une rencontre entre des professionnels et des amateurs visant à créer ensemble des gestes de cinéma.

A partir de 2010, nous avons assisté à une migration des images : le cinéma et la télévision n’étaient plus les lieux uniques de leur diffusion. Les technologies numériques inventaient de nouveaux supports et, de nouveaux territoires : internet, applications numériques, smartphone et webcam sont devenus progressivement les lieux privilégiés de la relation aux images, en particulier pour les jeunes adultes avec qui nous sommes amenés à travailler. Nous avons eu le désir d’accompagner ce mouvement, sans naïveté ni fascination, sans préjugés ni jugement, mais au contraire avec l’envie d’explorer ces nouveaux territoires. Pour imaginer le projet « La maison et le monde », nous sommes partis de notre propre relation à ces outils, avec la conviction que les étudiants seraient souvent des guides vers des lieux et des pratiques que nous ne connaissons pas.

Prise en main des smartphones © Clément Dorival

Plusieurs caractéristiques des réseaux sociaux ont ainsi été revisitées :

  • L’ « obligation » à intégrer un mouvement de socialisation généralisée : Le numérique n’est pas neutre. Il obéit à des logiques et fourmille de contraintes. Ainsi les réseaux sociaux nous incitent à une socialisation quasiment obligatoire. « L’enfer des liens perpétuels qu’on a soi-même créé[s] », selon les termes de la sociologue Laurence Allard. Le projet « La maison et le monde » propose aux participants de prendre de la distance face à cette injonction pour étudier leur propre relation à ces outils, leur regard sur leur monde et faire émerger ainsi leur singularité.
  • L’entre-soi : La socialisation rendue possible par les outils numériques permet surtout de nous retrouver entre amis, semblables, partageant des traits communs : en vase-clos. Plutôt que nous ouvrir à des espaces et des personnes inconnus, les réseaux sociaux et notre « mur » nous enferment souvent dans les mêmes territoires. Notre ambition a été de provoquer des rencontres inattendues entre des territoires et des êtres différents, en France et à l’étranger, lors de rencontres réelles et/ou virtuelles.
  • Le marketing de soi : Sur les réseaux sociaux, on se « dévoile » aux autres au travers d’une mise en scène de soi proche du marketing et du spectacle. On se montre à son avantage, on évoque des éléments souvent très superficiels de sa vie personnelle. Cette forme de communication est sans doute générée par la confusion que produisent les réseaux sociaux entre les sphères privée et publique. Notre ambition a été de leur faire expérimenter d’autres formes de récit, une écriture de l’intime où chacun s’interroge sur soi, sur sa place dans le monde et sur l’autre S’ouvre alors la possibilité d’une véritable rencontre avec l’autre.

En tant que réalisateurs et enseignante de cinéma, la création de films nous semblait être le fil conducteur idéal pour amener les participants de l’atelier à interroger leurs pratiques numériques, leur rapport au monde, à l’autre et à nous-mêmes à l’heure du numérique.

Comment s’emparer des outils numériques du quotidien pour faire du cinéma et ainsi créer, témoigner ou dialoguer avec d’autres, autour de réalités différentes ou inconnues ? Quels types de déplacements produisent-ils ?