En quoi le numérique questionne nos pratiques ? Transforme nos actions ? Quels enjeux révèlent-ils autour des pratiques contemporaines de l’image ? Eléments de réponse au travers du projet « La maison et le monde ».
Publié le 08/01/2021, Mis à jour le 28/06/2023
Comment les acteurs de l’éducation à l’image se posent la question du numérique ? En quoi celui-ci questionne-t-il nos pratiques ? En quoi transforme-t-il nos actions ? Quels enjeux révèlent-ils autour des pratiques contemporaines de l’image ? Pour répondre à ces questions, trois intervenants en éducation aux images, Emmanuel Roy, Frédérique Hammerli et Clément Dorival s’appuient sur leur expérience d’atelier « La maison et le monde ». Un atelier qui utilise les outils numériques du quotidien, pour questionner, justement, par le cinéma, « ce que nous faisons de ces outils numériques et ce qu’ils font de nous ».
« La maison et le monde » : C’est quoi ?
L’atelier de cinéma « La maison et le monde » s’est déroulé pendant 5 ans, de 2015 à 2019, auprès d’étudiant.e.s de la spécialité Etudes cinématographiques de la classe préparatoire littéraire du lycée Mistral d’Avignon. Il avait pour objectif la création de courts-métrages par duos ou trios d’étudiant.e.s, réalisés à partir des outils numériques du quotidien : smartphone, web et webcam.
Nous sommes trois à avoir conçu.e.s et animé.e.s cet atelier : Frédérique Hammerli (enseignante de cinéma), Clément Dorival et Emmanuel Roy (réalisateurs de films documentaires), réuni.e.s au sein d’Anamorphose, une association dédiée à la création documentaire. Nous collaborons tous les trois sur différents projets d’atelier de cinéma depuis plus de 10 ans. Nous avons expérimenté différentes formes avec des publics divers, mais nous partageons tous les trois un point de départ commun au moment de penser un projet d’atelier : il doit amener chaque participant à questionner sa relation aux images comme son rapport au monde et aux autres. C’est, pour nous, à cet endroit que prend sens un atelier, conçu comme une rencontre entre des professionnel.le.s et des amateur.rice.s visant à créer ensemble des gestes de cinéma.
A partir de 2010, nous avons assisté à une migration des images : le cinéma et la télévision n’étaient plus les lieux uniques de leur diffusion. Les technologies numériques inventaient de nouveaux supports et, de nouveaux territoires : internet, applications numériques, smartphone et webcam sont devenus progressivement les lieux privilégiés de la relation aux images, en particulier pour les jeunes adultes avec qui nous sommes amenés à travailler. Nous avons eu le désir d’accompagner ce mouvement, sans naïveté ni fascination, sans préjugés ni jugement, mais au contraire avec l’envie d’explorer ces nouveaux territoires. Pour imaginer le projet « La maison et le monde », nous sommes parti.e.s de notre propre relation à ces outils, avec la conviction que les étudiant.e.s seraient souvent des guides vers des lieux et des pratiques que nous ne connaissons pas.
Prise en main des smartphones © Clément Dorival
Plusieurs caractéristiques des réseaux sociaux ont ainsi été revisitées :
- L’ « obligation » à intégrer un mouvement de socialisation généralisée : Le numérique n’est pas neutre. Il obéit à des logiques et fourmille de contraintes. Ainsi les réseaux sociaux nous incitent à une socialisation quasiment obligatoire. « L’enfer des liens perpétuels qu’on a soi-même créé[s] », selon les termes de la sociologue Laurence Allard. Le projet « La maison et le monde » propose aux participant.e.s de prendre de la distance face à cette injonction pour étudier leur propre relation à ces outils, leur regard sur leur monde et faire émerger ainsi leur singularité.
- L’entre-soi : La socialisation rendue possible par les outils numériques permet surtout de nous retrouver entre ami.e.s, semblables, partageant des traits communs : en vase-clos. Plutôt que nous ouvrir à des espaces et des personnes inconnu.e.s, les réseaux sociaux et notre « mur » nous enferment souvent dans les mêmes territoires. Notre ambition a été de provoquer des rencontres inattendues entre des territoires et des êtres différents, en France et à l’étranger, lors de rencontres réelles et/ou virtuelles.
- Le marketing de soi : Sur les réseaux sociaux, on se « dévoile » aux autres au travers d’une mise en scène de soi proche du marketing et du spectacle. On se montre à son avantage, on évoque des éléments souvent très superficiels de sa vie personnelle. Cette forme de communication est sans doute générée par la confusion que produisent les réseaux sociaux entre les sphères privée et publique. Notre ambition a été de leur faire expérimenter d’autres formes de récit, une écriture de l’intime où chacun s’interroge sur soi, sur sa place dans le monde et sur l’autre. S’ouvre alors la possibilité d’une véritable rencontre avec l’autre.
En tant que réalisateur.rice.s et enseignant.e.s de cinéma, la création de films nous semblait être le fil conducteur idéal pour amener les participant.e.s de l’atelier à interroger leurs pratiques numériques, leur rapport au monde, à l’autre et à nous-mêmes à l’heure du numérique.
Comment s’emparer des outils numériques* du quotidien pour faire du cinéma et ainsi créer, témoigner ou dialoguer avec d’autres, autour de réalités différentes ou inconnues ? Quels types de déplacements produisent-ils ?
Contre Selfie video © Lise Guernier
Principes et fonctionnement de l’atelier
L’atelier se déploie sur l’ensemble de l’année scolaire, de septembre à juin. Nous retrouvons les étudiant.e.s à raison d’une séance mensuelle de septembre à mars, puis pour une période de montage d’un mois en mai. L’atelier s’achève avec une séance de projection au cinéma Utopia Manutention d’Avignon. Deux phases structurent le projet.
Première phase
De septembre à décembre, l’atelier commence par un temps d’initiation technique et artistique. Via la réalisation d’exercices, nous amenons les étudiant.e.s à expérimenter les trois outils (web et applications numériques, smartphones et webcams) qu’ils peuvent utiliser pour réaliser leurs films. En termes de matériel, nous fournissons des unités de tournage comprenant un smartphone, un enregistreur numérique et différents accessoires. La grande majorité des étudiant.e.s possédant aujourd’hui un ordinateur, ils disposent donc des 3 outils du projet et sont autonomes. C’est pourquoi il est possible de réaliser les exercices hors du temps de l’atelier, quand et où les étudiant.e.s le souhaitent. C’est un des grands avantages de ce dispositif technique : ces outils s’inscrivent dans le quotidien des participant.e.s.
Nous avons choisi trois outils — le smartphone, la webcam et internet — qui correspondent à trois postures : le filmeur, le filmé et l’internaute. Des temps de tournage sont consacrés à chacun de ces outils. Nous accompagnons les étudiant.e.s dans une prise en main spécifique à chaque appareil.
- Le smartphone : les participant.e.s sont amené.e.s à l’utiliser en tant que filmeur, pour nous révéler leur univers quotidien, leur monde intérieur. En termes de forme, le smartphone permet de travailler la vision subjective et le cadre en mouvement. Il peut être utilisé pour filmer l’autre, dans le cas de rencontres réelles. Nous avons proposé différents exercices aux étudiant.e.s : réalisation d’un contre-selfie vidéo avec le smartphone, plan-séquence réalisé dans une pièce de sa maison… Nous essayons de déplacer chaque outil numérique vers des gestes de cinéma. Dans ce cadre, le smartphone est utilisé comme une caméra-poing. Il peut devenir le prolongement du corps du filmeur.
- La webcam : les étudiant.e.s l’utilisent en tant que filmés, pour partir à la rencontre d’un Autre sur le web. Nous demandons aux étudiant.e.s de réaliser un entretien via un logiciel de visiophonie avec une personne qu’il n’aurait pas pu rencontrer dans leur vie quotidienne (éloignement géographique, social, etc.). En termes de dispositif, la webcam est utilisée pour travailler le cadre fixe, le champ et le hors-champ.
- Internet : les participant.e.s occupent la place d’internaute, une place qui reste encore à définir, entre spectateur.rice du monde tel qu’il est représenté sur le web et monteur d’images numériques diffusés en ligne. L’objectif est de travailler cette relation ambivalente et mouvante au monde extérieur à travers l’utilisation d’applications et d’interfaces sans cesse renouvelées. Nous avons souvent débuté l’atelier par un autoportrait réalisé par chaque étudiant.e à partir de son usage du web qui permettait d’initier la réflexion sur cette place singulière que génère le web et les applications qui en découlent.
Chaque exercice est annoncé et préparé durant une première séance d’atelier, notamment par la diffusion d’extraits de films de cinéma. A la séance suivante, nous visionnons les propositions des participant.e.s en projection, avec l’ensemble du groupe. Ces exercices ne sont pas uniquement techniques. Ils amènent les étudiant.e.s à questionner leur usage quotidien des outils numériques. C’est aussi, pour chacun.e, une manière de se dévoiler, de prendre conscience de sa subjectivité, de sa capacité à créer mais aussi des limites qu’iel souhaite poser dans ce qu’il donne à voir de son intimité. De notre côté, ces exercices nous permettent de transmettre les enjeux techniques et esthétiques du projet. Notre démarche est de proposer aux participant.e.s de travailler sur la mise en scène de leur intimité à partir du thème général du projet : « La maison et le monde ». L’appropriation des nouveaux outils numériques crée souvent une déterritorialisation des images produites. Nous les encourageons à déplacer l’usage de ces outils pour éviter de produire de l’uniformité, du non lieu, du non langage. Le point de départ du processus de création est donc l’inscription des participant.e.s dans leurs lieux réels et leurs territoires intimes. Cette phase nous permet enfin de faire connaissance avec l’univers personnel et esthétique de chaque étudiant.e.
Le rôle joué par les exercices dans la dimension créative de l’atelier ne doit pas être négligé et s’est affirmé d’année en année. Les exercices, associés aux séances de formation tenues pendant la première moitié d’un cycle annuel d’atelier, ont en effet été pensés pour être une initiation à la création. Ils ont d’ailleurs été modifiés, réinventés parfois, au fil des expériences antérieures. Chaque année, certains d’entre eux ont été le point de départ de films. Réalisés pour certains individuellement, ils nous ont permis d’identifier des centres d’intérêt, des approches et sensibilités communes ou entrant en résonance entre certain.e.s participant.e.s, et nous ont souvent guidés dans la formation des duos/trios de réalisation. Ils ont ainsi été à maintes reprises l’occasion d’explorer une forme, un sujet qui est ensuite devenu le cœur d’un film à venir, en tant qu’esquisse du film, ou même en devenant séquence du film à part entière. La légèreté des outils numériques, leur aspect quotidien peut vite donner le sentiment aux participants que les exercices ne sont « que » des galops d’essais sans enjeu artistique. Il convient donc toujours de rappeler, et peut-être plus encore dans le cadre de l’utilisation d’un téléphone portable, que toute image tournée, tout son enregistré met en jeu celui qui le produit et ce, celle ou celui qui est filmé. La consigne des exercices, comme les extraits (images ou textes) qui l’accompagnent, doit mettre en avant la dimension créatrice. Le terme d’exercice n’est d’ailleurs pas totalement approprié, sauf si l’entraînement qu’il suppose est conçu comme une dynamique, porteuse de films à venir, que personne n’a encore imaginés ou rêvés. Nous croyons à la pratique de ces « petites formes » parce que du geste, du faire, émerge aussi l’envie de création et même l’idée, qui n’est pas acquise pour certains participant.e.s, que faire un film est possible. Le regard sur l’outil change dans cette première phase de l’atelier, amenant à le reconsidérer dans son usage quotidien mais aussi à désinhiber celui qui s’en empare.
A l’issue de cette première phase, à partir de ce que nous avons découvert des uns et des autres, des formes inventées au cours de ces exercices, nous sommes en capacité de composer les duos ou trios d’étudiant.e.s qui réaliseront les films.
Deuxième phase
De janvier à mars, nous débutons une nouvelle phase du projet : les duos ou trios de réalisation sont constitués. Nous amorçons alors un travail d’écriture avec chacun d’entre eux. Souvent, les exercices ont fait émerger une rencontre, un point de vue ou un dispositif que le groupe souhaite prolonger. Notre suivi consiste alors à accompagner les groupes de manière compréhensive et exigeante : nous cherchons à faire émerger, pour chacun, un point de vue personnel et un dispositif cohérent. C’est le processus classique de réalisation d’un film. Car les courts-métrages doivent être de véritables tentatives de cinéma, au sens où l’écrivait Serge Daney : « il y a cinéma là où il y a rencontre (voyage, trip, expérience), il y a audiovisuel là où il y a programme (tourisme clés en mains) ». Le numérique offre de nouveaux outils, de nouvelles possibilités de récit, mais ne change pas fondamentalement cette distinction. Circulent sur internet beaucoup de formes stéréotypées, convenues, qui reprennent des formes télévisuelles. L’accent est mis sur l’invention, la recherche de formes surprenantes : comment ces nouveaux outils permettent de travailler de manière singulière les images, les sons, le langage pour partager un sentiment, une expérience, un point de vue, et amener le spectateur.rice là où iel n’aurait jamais imaginé aller.
A partir du mois du mois d’avril, les groupes partent en tournage de manière autonome.
Nous les retrouvons au mois de mai pour le montage des films. Cette phase débute par une initiation technique et artistique au montage : nous cherchons à rendre les groupes le plus autonome possible tout en leur demandant de respecter des étapes dans le processus de montage : visionnage des rushes, choix de plans ou de séquences clés, réalisation d’un bout à bout, montage final. Nous les laissons travailler et les retrouvons régulièrement tout au long de ces étapes de travail. Nous visionnons leurs propositions à trois : nos retours sont souvent différents. Cette différence montre aux étudiant.e.s qu’il n’y a jamais un seul chemin possible dans un processus de création. Et que c’est à eux d’avancer librement dans leur projet de film.
L’atelier se termine par une diffusion au cinéma Utopia Manutention d’Avignon. C’est un temps fort pour les étudiants qui se confrontent, souvent pour la première fois, à un public. Iels ont vécu ainsi une véritable expérience de création.
Bilan sur les films
L’expérience développée sur les cinq années du projet a permis de tirer un certain nombre d’enseignements au fil du travail engagé annuellement avec chaque groupe, mais aussi à la vue de l’intégralité des films réalisés dans le cadre de l’atelier. Ceux-ci sont en effet un reflet du processus engagé.
Ce qui frappe d’abord c’est la diversité des formes produites par les étudiant.e.s dans le cadre de l’atelier, et que nous pourrions rapidement associer à quelques catégories principales, qui se sont affirmées au fil des années :
- Une série de films relève plutôt du documentaire d’entretien autour des pratiques du numérique, interrogeant les usagers, confrontant leur point de vue ou même confrontant des individus aux images et pratiques que construisent certains nouveaux outils de communication pour saisir plus frontalement leur réaction, l’écran de cinéma devenant le reflet non pas de l’écran numérique mais de celui qui y fait face.
- D’autres films, de forme plus expérimentale, exploitent les nouvelles qualités de point de vue et d’images que peuvent produire les téléphones portables. La taille réduite du téléphone, sa mobilité, deviennent l’occasion de de produire des images particulièrement sensibles et quasi tactiles ; les images froides et techniques de Google Earth ou d’un jeu vidéo comme Minecraft aboutissent à l’invention de fantasmagories poétiques.
- Une troisième catégorie de films s’empare des nouveaux outils numériques d’une manière plus souterraine : si ceux-ci ne sont plus nommés et ne donnent pas lieu à une réinterprétation créative des nouvelles formes d’images qu’ils produisent, la forme plus classique que prennent les films, qui auraient apparemment pu être tournés avec une caméra, interroge souvent la profusion des images, leur intrusion permanente dans le quotidien, au point que réel et représentation se confondent, qu’espace physique et espace imaginaires fusionnent. Ces films donnent à voir un monde en voie de virtualisation, pour le pire (la perte de contact avec la réalité) et le meilleur (notre nécessaire et vitale part de rêve).
De gauche à droite : « De face », d’Arthur Bon et Hugo Hamon ; « Le cinquième mur », de Pauline Casabianca, Mathilde Floriel-Destezet et Marion Quessette ; « Zone Bleue », de Nina Gaines et Occitane Lacurie
Finalement, tous ces films, d’une manière plus ou moins affichée, s’emparent des nouvelles formes de pratique de l’image et des nouveaux outils qui les ont rendues possibles pour les interroger, les retravailler de manière créative ou encore interroger la manière dont elles affectent notre relation au monde. Au fil des années ce sont ainsi les supports ou applications que sont YouTube, Minecraft, Tinder, Google Earth, Chatroulette ou encore le forum de discussion 18-25, mais aussi les écrans d’ordinateurs, de téléphone qui ont été convoqués dans les films.
La diversité des films réalisés dans ce cadre, films nettement identifiés comme documentaires, films plus expérimentaux, films de fictions, films à la première personne, films plus à distance, est le fruit d’un accompagnement à la réalisation qui vise non seulement à offrir aux participant.e.s des ateliers une réflexion sur les outils qu’ils utilisent au quotidien, un soutien technique qui leur permette de s’emparer de ces outils de manière plus créative, mais surtout un expérience inscrite dans la durée susceptible de les aider à exprimer des enjeux personnels et plus intimes, que les nouveaux outils génèrent ou simplement révèlent. L’équilibre n’a pas toujours été simple à trouver : comment faire en sorte que la réflexion autour des usages numériques ne soit pas qu’un prétexte ou encore qu’elle soit oubliée au profit d’une envie ou d’un imaginaire de cinéma très différents portés par certain.e.s participant.e.s ? Comment faire pour qu’un film soit le reflet d’un duo de création, sans que cela n’aboutisse à une forme consensuelle mais désincarnée ? Comment faire pour que nos attentes et notre expérience, en tant que concepteurs et formateurs, ne parasitent pas les projets au point d’amener les participant.e.s à y répondre plus qu’à trouver leurs propres voies d’expression ? Aucun de ces écueils n’a été totalement évité. La production de la dernière année témoigne d’ailleurs du fait que nous avions envie de remettre de la relation directe, non médiatisée, de la rencontre au cœur de l’atelier que nous menons au lycée Frédéric Mistral. Le nouveau projet Nous la ville, initié en 2019, s’il recourt toujours aux outils numériques, investit l’échelle locale et vise à saisir le portrait de la ville d’Avignon au travers de la rencontre avec ses habitants. Au bout de cinq années de pratique du même atelier, notre propre regard avait lui-même perdu de sa fraîcheur, beaucoup de solutions pédagogiques et techniques avaient été expérimentées, il nous fallait nous renouveler pour continuer à accompagner les étudiant.e.s sans nous-mêmes épuiser les formes que nous avions initiées.
Diffusion et perspectives
Le projet « La maison et le monde » est terminé. Il a permis d’élaborer et d’expérimenter un processus de transmission et de création de films à partir des outils numériques. Une vingtaine de films a été réalisée. Nous travaillons à présent aux différentes possibilités de diffusion de ce projet, dans la mesure de nos moyens et de nos disponibilités :
- Une première exposition de films a été présentée au théâtre Benoit XII en mars 2019 à Avignon dans le cadre du Printemps des Poètes. La forme « exposition » nous a amenés à concevoir une programmation de films adaptée à une scénographie originale. C’est une nouvelle forme de découverte des films pour le grand public. En parallèle, les étudiants proposent leurs films de manière individuelle à des festivals.
- Nous réfléchissons à la création d’une mallette pédagogique à destination des professionnels de la pédagogie de l’image. La conception de cette mallette s’appuierait sur le processus de transmission et de création que nous avons expérimenté pendant 5 ans, sous la forme de modules simples et indépendants pour des ateliers raccourcis.
- Enfin, l’horizon final de ce projet consiste en une création web. Nous avons envie de proposer ces films sur le support et les outils qu’il questionne. Cet espace numérique permettrait aussi de mettre en lien les exercices menés pendant l’atelier (images et sons), la méthode expérimentée pendant 5 ans (textes) et les films réalisés.
Exposition à Avignon © Clément Dorival
Témoignages d’étudiants
Elie
J’ai participé deux années de suite à l’atelier, en 2017 et en 2018. L’un des points les plus riches a été d’apprendre à faire « naître » un projet de création, à travers une note d’intention tout d’abord, qui est une étape décisive notamment dans la production. Une fois que les projets étaient suffisamment mûrs, une fois que nous étions parvenus à mettre des mots sur notre « désir de film », nous étions très libres et même encouragés à expérimenter. Ce qui comptait vraiment, je crois, c’était d’identifier le lien affectif qui justifiait notre film. À partir de là, j’ai découvert que l’approche documentaire pouvait correspondre à un répertoire très varié de récits, de formes, d’émotions, ce que je ne soupçonnais pas quelques années plus tôt.
De plus, l’atelier obligeait à s’interroger sur les outils numériques. En y repensant, je crois qu’il existe aujourd’hui très peu de lieux où nos usages du numérique deviennent sujet à discussion, alors que c’est central. Emmanuel, Clément et Frédérique avaient à cœur de repartir de la notion de rencontre, si bien que ce n’étaient plus les qualités fonctionnelles du numérique qui entraient en ligne de compte mais la place qu’il réservait à l’humain. Ces questionnements étaient réinvestis de façon singulière dans les films : tout en manipulant ces objets (téléphones, ordinateurs) nous portions sur eux un regard à la fois critique et poétique. J’ai pu réaliser deux films qui utilisaient des captures d’écran d’ordinateur où l’idée était justement, à chaque fois, de déplacer les frontières, de représenter le monde numérique comme un espace que l’on pouvait habiter de façon imaginaire.
Aujourd’hui je poursuis des études de cinéma et je pense que cela a durablement influencé mon regard de spectateur, en aiguisant ma curiosité pour les films qui inventent leur propre dispositif, loin de toute convention.
Occitane
J’ai participé à l’atelier de réalisation en 2015-2016 et en 2016-2017. Je crois me souvenir que je ne me rendais pas vraiment compte, à l’époque, de l’importance que cette expérience allait revêtir pour la suite de mon parcours. Je peux affirmer aujourd’hui que sans les thématiques auxquelles nous ouvrait l’atelier, je n’aurais jamais eu l’idée du thème de recherche qui m’a accompagnée tout au long de mon master à l’ENS et qui se trouve à l’origine de mon actuel sujet de thèse : le fantôme numérique. C’est en effectuant une seconde fois l’exercice inaugural, l’autoportrait numérique, que j’ai commencé à réfléchir, par exemple, aux questions de ce que j’appellerais avec Yves Citton et Anthony Masure « subjectivité computationnelle » ou à l’expérience de la cyberflânerie, un très beau nom trouvé par Maren Hartmann. À l’époque, ces notions se manifestaient sous la forme d’intuitions que les pratiques de réflexivité sur nos usages en ligne auxquelles nous habituait l’atelier faisaient germer chez moi.
Il n’est pas rare qu’en me promenant dans les festivals de cinéma expérimental, un film m’évoque le travail que nous menions dans la salle de montage, les conseils que nous donnaient Frédérique, Emmanuel ou Clément, les questions qu’ils et elle nous invitaient à nous poser sur la vidéo, le desktop movie, les media, le filmage au téléphone, et ce, très en avance sur l’avant-garde, m’aidant à entrer avec aisance dans le champ merveilleux de la théorie des médias.
À propos des outils numériques
* Une information numérique (en anglais digital) est une information quantifiée et échantillonnée. En informatique, ces données sont représentées sous la forme de nombres binaires (des 0 et des 1), d’où l’expression de « technologies numériques ». Le format numérique est capable de restituer tout type d’information : texte, son, image fixe ou animée, etc. On entend donc par outil numérique les différents outils fonctionnant aujourd’hui avec des données informatiques : téléphone portable (« smartphone » ou ordiphone), ordinateur, webcam, appareil photo ou encore caméra. Cette première définition apparaît aujourd’hui comme une évidence tant ces outils sont devenus pour nous tous, en très peu de temps, la norme.
A l’heure actuelle, ils sont omniprésents : 2,71 milliards de smartphones ont été vendus dans le monde en 2019 (et 300 millions d’ordinateurs). Sur les 6,8 milliards d’êtres humains que compte la planète, 75 % ont accès à un mobile et 5 milliards de téléphones portables sont actuellement utilisés dans le monde. En France, on compte en moyenne 6 écrans par foyer et 64 % des ménages sont multi-équipés (une famille possédant au moins 1 ordinateur, 1 smartphone, 1 tablette).
La caractéristique la plus neuve de ces différents outils est leur interconnexion, qui a donné naissance à un territoire sans centre ni bords : Internet. Nous sommes tous internautes et avons accès à un nombre de données incalculables. Les sites d’hébergement de vidéos ont brouillé les repères dans l’espace et le temps. Nous sommes informés en temps réel. Nous pouvons échanger comme jamais via les courriers électroniques, les réseaux sociaux, les messageries instantanées, les visio-conférences. Nous avons accès à l’intime de parfaits inconnus et sommes sans cesse, plus ou moins malgré nous, en représentation.
Par Clément Dorival, Frédérique Hammerli et Emmanuel Roy
Pratique
- Plus de 20 films ont été réalisés durant le projet. En voici une sélection : https://lamaisonetlemonde.net/plateforme
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