Points de vue sur l’éducation aux images
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Retours d’expériences

Comme un million de papillons noirs…

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Dans le cadre de l’appel à projet du CNC autour de la sensibilisation à l’écriture scénaristique dès le plus jeune âge, une classe de CM1-CM2 de  l’école Lucie Aubrac (Brive) a participé à un atelier coordonné par Les Yeux Verts, Pôle d’Éducation aux Images en Nouvelle Aquitaine.

Publié le 02/08/2023, Mis à jour le 02/08/2023

Accompagné·e·s par la réalisatrice Lou-Anna Reix, résidente de la première édition de Livre au Ciné , les jeunes élèves ont imaginé un projet de court-métrage d’animation adapté de l’album jeunesse Comme un million de papillons noirs de Laura Nsafou et Barbara Brun. Le projet qui a été mené de novembre 2022 à avril 2023 a donné lieu à plusieurs réalisations (dossier de production, séquences sonores et animées…) et s’est clôturé par un pitch des enfants devant les professionnel·le·s et le public du Festival du Cinéma de Brive.

Ce projet est né d’une rencontre entre le Pôle d’éducation aux images Les Yeux Verts et Lou-Anna Reix, à l’occasion de la résidence Livre au Ciné pendant laquelle la réalisatrice travaillait sur Les Soeurs Zemganno, un projet d’adaptation libre et contemporaine du roman d’Edmond de Goncourt, Les Frères Zemganno. Lou-Anna, en plus de sa pratique de cinéaste et scénariste, mène régulièrement des actions d’éducation aux images. L’idée a donc germé de co-construire un atelier d’adaptation à destination d’un jeune public, atelier dont la finalité ne serait pas la réalisation d’un film, mais un dossier de production inspiré de ceux que réalisent les professionnel·le·s du cinéma pour présenter leurs projets.

Le cœur de cet atelier serait donc le processus d’écriture ; ce qui cadrait parfaitement avec l’appel à projet du CNC, porté dans le département de la Corrèze par Les Yeux Verts, et visant à accompagner la mise en place d’ateliers d’écriture scénaristique et créative dès le plus jeune âge.

Cet atelier a été l'un des plus intéressants que j'ai pu mener sur l'année 2022-2023 pour plusieurs raisons. La première, c'était sa forme innovante : ne pas envisager la réalisation d'un film comme objectif était un pari audacieux parce que les enfants préfèrent en général le tournage, c'est là où ils sont les plus réceptifs. Oser le dossier de production comme enjeu de l'atelier s'est révélé être un défi pédagogique stimulant pour moi.

Atelier « Comme un million de papillons noirs »

Comme base de l’atelier, Lou-Anna a tout de suite proposé de travailler autour de l’album jeunesse Comme un million de papillons noirs, de Laura Nsafou[1] et Barbara Brun (éditions Cambourakis) dont les thématiques la touchent particulièrement. Ce livre, qui porte un message universel sur la nécessité de s’accepter et d’accepter les différences, a connu un beau succès, notamment auprès des enseignant·e·s.

Du côté des Yeux Verts, avec l’accord de la conseillère pédagogique du département, il y avait l’envie d’associer au projet un établissement dans lequel les élèves sont plus rarement touché·e·s par ce type d’expérimentation. C’est une classe de CM1-CM2 de l’école Lucie Aubrac du QPV[2] Rivet à Brive (Corrèze) qui a été choisie. Son enseignant Hervé Ferrand a accepté de s’y engager avec beaucoup d’enthousiasme  :

On ne savait pas trop dans quoi on s'embarquait au début, le projet étant si original que je n'avais pas de repères. Comme je le disais à Lou-Anna, parfois cela peut être compliqué de travailler avec des artistes qui ont leur propre façon de voir les choses, quand nous, nous devons rester "scolaires". J'ai toujours eu la chance de travailler sur des projets originaux avec des gens passionnés et passionnants (…) C'est très important pour des écoles comme la mienne, car l'isolement culturel est une réalité chez nous. Ce type de projet offre l'occasion à ces élèves de découvrir un univers qu'ils connaissent et fréquentent peu.

Un lien de confiance s’est rapidement installé entre la cinéaste, la classe et l’enseignant, une véritable émulation fruit d’un travail au long cours décliné sur plusieurs interventions de plusieurs jours à chaque fois. Le facteur temps et la possibilité de travailler à la fois en classe entière et en petits groupes ont ainsi largement contribué à la réussite de l’atelier comme le souligne Lou-Anna Reix :

Avoir autant d'heures avec les enfants, ce sont des conditions idéales, autant pour la classe que pour moi. Les élèves ont pu travailler sur différents médias et exprimer leur créativité et leurs talents de l'écriture du synopsis à la réalisation de petites séquences en stop motion et sonore... C'était l'occasion de les ouvrir au monde du cinéma au-delà du simple visionnage de films et de leur faire toucher du doigt tout le processus de création tout en aiguisant leur esprit critique. Lors de la dernière séance, j'ai constaté qu'iels avaient déjà un regard plus pertinent face aux films que je leur présentais, iels faisaient la différence entre le thème et le sujet, connaissaient les termes techniques, percevaient mieux l'enjeu et la trajectoire du personnage... C’est aussi une manière de dire aux enfants que le cinéma est un vrai métier et qu’il est possible pour eux aussi de faire partie de ce monde-là.

Je suis fière de notre travail, parce qu'on a bien travaillé cette année avec Lou-Anna.

J'ai appris à préparer un film et ça , je suis sûr qu'on est pas nombreux à l'avoir fait, alors je suis fier !

J'ai appris plein de choses sur le cinéma et j'ai pu rencontrer des professionnels , alors je m'en souviendrai longtemps.

Dans ce type de projet, la phase de restitution est primordiale pour valoriser l’investissement des élèves qui dans ce cas s’est révélé remarquable. La valorisation se devait donc d’être à la hauteur de cet engagement collectif ! Le Festival du cinéma de Brive nous en a donné l’occasion en invitant la classe de Lucie Aubrac à monter sur la scène du cinéma Rex dans le cadre du workshop pitch qui se tient chaque année devant des producteur.rice·s et des professionnel.le·s venu·e·s découvrir de nouveaux talents. Malgré le trac et l’excitation, les « pitch’ounes » ont brillamment réussi l’exercice et ont répondu avec aplomb aux questions de la salle. Iels en gardent le souvenir d’une véritable aventure… L’enseignant en a été le témoin privilégié :

J'ai vu des élèves s'écouter, se partager les tâches et prendre grand soin de ce qu'ils réalisaient. Le projet final était important à leurs yeux, ils voulaient faire les choses bien.

J'étais content de monter sur scène, j'avais le trac mais on s'est bien débrouillé !

C'était génial , surtout quand on était sur scène, j'étais très fière de moi car on a applaudi notre travail. Quand j'irai dans ce cinéma, je repenserai à ce moment.

Et la suite ? Lou-Anna Reix et Les Yeux Verts ne comptent pas en rester au stade de l’expérimentation. Au-delà de l’appel à projet du CNC, la réflexion est engagée pour imaginer sous quelle forme cet atelier d’adaptation pourrait être proposé à d’autres écoles, dans le cadre du parcours d’Education Artistique et Culturelle des élèves.

Par Valérie Mocydlarz, Responsable du Pôle d’éducation aux images en Nouvelle-Aquitaine Les Yeux Verts et Coordinatrice du Fil des images

[1] Blogueuse afroféministe connue sous le nom de Mrs Roots

[2] Quartier prioritaire de la politique de la ville

 

En savoir plus sur Lou-Anna Reix

Réalisatrice de courts-métrages et étudiante-chercheuse en lettres et cinéma basée à Montpellier. En plus de sa pratique de cinéaste, elle donne de nombreux ateliers d’éducation à l’image et de pratique du cinéma, et réalise régulièrement des films d’ateliers avec différents publics.