Retour sur un projet universitaire mêlant exploration de documents de travail de tournage et création numérique, qui a réuni des étudiant·es de Master 1 et 2 Cinéma et Audiovisuel de l’Université Paul-Valéry de Montpellier, autour du film Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand, en partenariat avec Occitanie films.
Publié le 04/12/2025, Articlé rédigé par Amélie Boulard, chargée de mission action culturelle à L’Agence Unique, Occitanie Culture, Pôle régional d’éducation aux images d’Occitanie,
Mis à jour le 04/12/2025
Au croisement de la pédagogie et de la création, deux cours du master Cinéma et Audiovisuel de l’Université de Montpellier Paul-Valéry ont été associés pour un projet inédit : faire dialoguer les étudiant·es avec les archives d’un film contemporain, Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand. À travers l’étude des documents utilisés pour le tournage du film et des rencontres avec des professionnel·les, les étudiant·es ont exploré la genèse de l’œuvre, analysé différents aspects de la création et conçu une plateforme web pour restituer leurs travaux.
La genèse du projet
Ce projet est le fruit du travail en collaboration entre deux enseignements : celui de Jean-Philippe Trias, maître de conférences en histoire et esthétique du cinéma, consacré à la genèse des films (Master 1), et celui de Claire Chatelet, maîtresse de conférences en audiovisuel et nouveaux médias, centré sur la valorisation créative des archives et la conception de plateformes web (Master 2). Les deux enseignant·es ont eu cette idée de faire collaborer les deux promotions autour d’un même projet, mêlant analyse filmique, recherche universitaire et création numérique.
Les étudiant·es de Master 1 ont ainsi plongé dans les archives du film Chien de la casse (scénario, notes, photos, repérages, et autres documents du tournage…) confiées généreusement par le réalisateur Jean-Baptiste Durand. À partir de cette matière et des rencontres avec le réalisateur ainsi que les technicien·nes du film, les Master 1 ont produit des analyses sous forme de textes, vidéos ou capsules sonores.
De leur côté, les Master 2 ont créé une plateforme web pour valoriser tous ces contenus, en pensant une direction artistique, une expérience de navigation, et une architecture, en tentant de rester fidèle à l’esprit du film.
C’est la première fois qu’un tel croisement est mené au sein du Master. Les années passées, Jean-Philippe Trias avait un cours de genèse des films où les étudiant·es travaillaient à l’étude et la comparaison de plusieurs versions de scénarios de films tournés en région, dont les documents étaient fournis par Occitanie films en accord avec les réalisateur·rices. Ces travaux étudiants ont été publiés sur le site d’Occitanie films. Cette collaboration et ce procédé de travail à partir des œuvres et des professionnel·les implanté·es en région ont créé l’amorce de ce projet devenu plus ambitieux.
L’intérêt, explique Claire Chatelet, c’était de faire participer deux promotions et d’articuler deux approches : la réflexion sur la création et la mise en œuvre concrète d’un dispositif numérique.
Le tout en travaillant sur un film récemment sorti en salles (le 19 avril 2023), ancré en région, et porté par un cinéaste accessible et déjà impliqué dans des projets éducatifs.
Le choix de Chien de la casse s’est donc imposé naturellement. Jean-Philippe Trias connaissait le travail de Jean-Baptiste Durand et savait qu’il avait conservé un précieux ensemble d’archives.
C’était une chance rare et une opportunité, souligne-t-il, d’avoir un réalisateur prêt à partager la matière même de son film et à dialoguer directement avec les étudiant·es.
Et Occitanie films suivait le parcours de Jean-Baptiste Durand depuis son premier court métrage, avait accompagné le tournage de ce premier long métrage via la Commission du film et avait mené des projets d’éducation aux images le faisant intervenir.
Chien de la casse, film sorti en salles en 2023 et réalisé par Jean-Baptiste Durand
Quatre mois d’immersion dans les coulisses du film
Le projet s’étale sur quatre mois, de février à mai 2024, à raison de huit séances de rencontres et d’échanges avec les professionnel·les ayant travaillé sur le film.
Il démarre par un moment fondateur : la projection du film au cinéma Utopia, le 12 février.
C’était incroyable, se souvient Jean-Philippe Trias. La salle était pleine, il a fallu en ouvrir deux autres, et on a refusé du monde !
Après la séance, Jean-Baptiste Durand répond longuement aux questions du public étudiant et évoque la genèse de son film, son rapport à l’écriture, à l’improvisation, à l’équipe.
Quelques semaines plus tard, après avoir reçu son César du Meilleur Premier Film, il revient à l’université présenter ses archives personnelles : note d’intention, scénario, repérages, découpage technique, moodboards, recherches de couleurs, de costumes, esquisses de décors, et d’autres documents de travail. Une grande variété et hétérogénéité de sources permettent de nombreux axes d’études. Les étudiant·es se répartissent alors les sujets selon les différents postes de travail sur un plateau de tournage : la lumière des scènes de nuit, les costumes et les couleurs, le traitement de la lumière, les références visuelles, la musique, les décors, les accessoires, le rôle du chien Malabar, les dialogues, le personnage de la mère de Mirales… Autant de portes d’entrée donnant accès à la découverte et l’analyse du processus de création.
Document de travail commenté par le réalisateur Jean-Baptiste Durand
En parallèle, les Master 2 démarrent la conception de plateformes web en petits groupes, tout en assistant à certaines rencontres-clés avec les Master 1. Les étudiant·es apprennent à manier les outils numériques, élaborent une charte graphique cohérente avec l’univers du film et construisent une navigation selon la ligne éditoriale qu’iels souhaitent donner à leur projet.
Les rencontres professionnelles se succèdent tout au long du semestre : chef opérateur, assistante caméra, costumières, décorateur, ensemblière, scripte, perchwoman, productrice, monteuse…Ce sont ainsi dix collaborateur·rices du film qui viennent partager leur expérience, les aspects de leur métier. Parfois, les étudiant·es vont eux-mêmes à leur rencontre, jusqu’à Paris, pour découvrir le travail de la dresseuse du chien, à Marseille pour interviewer la compositrice, ou à Sète pour explorer l’atelier de l’accessoiriste. Cette immersion concrète donne chair à leurs analyses.
Iels ont mis les pieds dans le métier, explique Jean-Philippe Trias. Ce n’était pas seulement une étude théorique, mais une véritable enquête de terrain sur la fabrication d’un film.
Au fil des semaines, l’implication grandit, malgré un calendrier serré. Les Master 1 livrent leurs contenus ; les Master 2 intègrent textes, sons et vidéos dans leurs plateformes, peaufinent le design, testent l’ergonomie. Parmi les cinq groupes du Master 2, l’un des projets se distingue : une étudiante, douée en illustration, choisit de dessiner à la main toute la charte graphique, dans un style inspiré d’un carnet de bord. Ce geste artisanal du dessin fait écho au processus de fabrication du film lui-même, où les décors et costumes sont dessinés… et rappelle la formation initiale de Jean-Baptiste Durand aux Beaux-Arts de Montpellier. Au-delà de l’originalité graphique, c’est un des sites les plus complets, c’est-à-dire qui a intégré autant que possible les travaux du Master 1 et qui a balisé les différentes étapes de la création du film.
Le semestre s’achève par une présentation publique à l’auditorium de l’université, où chaque groupe “pitche” son projet de plateforme et leurs contenus devant les enseignant·es, les collaborateur·rices du film, et le réalisateur Jean-Baptiste Durand. Un moment permettant de valoriser tous les travaux des étudiant·es.
Après un temps d’optimisation de la plateforme web sélectionnée, ce carnet de bord est rendu public via le site d’Occitanie films, partenaire du projet.
Bilan et retours sur le projet
Au-delà du résultat concret – une plateforme web aboutie, des analyses variées, et une dynamique collective -, ce projet a été une expérience originale dans la pédagogie du master. Il a articulé deux enseignements universitaires permettant de faire dialoguer création, recherche et médiation, et de rendre palpable le travail d’équipe au cœur de la fabrication d’un film.
Toutes les rencontres professionnelles ont créé une émulation, chez les étudiant·es, qui a porté le projet et permis de faire découvrir l’implication de toute une équipe au service du processus de création d’un film, pour mieux en comprendre la fabrication.
Les étudiant·es ont pris conscience de la richesse du travail collectif derrière un film, observe Jean-Philippe Trias. Iels ont compris comment chaque poste – décor, son, image, montage – influe sur les autres, et comment les choix se construisent à plusieurs.
Pour beaucoup, cette expérience a été utile dans leurs parcours : certain·es étudiant·es ont valorisé le projet dans leurs entretiens pour des masters de production ou de diffusion, d’autres ont participé à des tournages professionnels.
Les retours des professionnel·les sont enthousiastes. Les techniciennes et techniciens du film ont salué la qualité des travaux et la mise en valeur de leur métier.
Être dans une démarche de transmission leur a plu, et iels étaient touché·es que leur savoir-faire soit mis en lumière, que leur poste soit raconté par le regard des étudiant·es, rapporte Jean-Philippe Trias.
Jean-Baptiste Durand, de son côté, a apprécié de voir son équipe mise au centre, « satisfait que le projet restitue cette idée essentielle du cinéma comme travail d’équipe et de collaboration. »
Tout n’a pas été simple : la contrainte du temps très resserré, les emplois du temps bien remplis des un·es et des autres, la complexité d’articuler deux promotions sur un seul semestre ont été des défis. Mais le bilan reste largement positif.
C’est exigeant, chronophage, mais extrêmement enrichissant pour tout le monde, reconnaissent les enseignant·es.
Ce projet autour de Chien de la casse aura permis, le temps d’un semestre, de faire dialoguer concrètement le cinéma et l’université, de rapprocher création et transmission, et de favoriser des rencontres et des regards partagés.
Article rédigé à partir de propos recueillis par Amélie Boulard lors d’un entretien avec Claire Chatelet et Jean-Philippe Trias le 30 avril 2025.
Pratique
Sitographie :
- Le site du “Carnet de création Chien de la casse”, réalisé par les étudiant·es
- La page rassemblant les travaux des étudiant·es sur la genèse de plusieurs films tournés en Occitanie
Ressources :
- Une rencontre avec le réalisateur Jean-Baptiste Durand : film en fabrication autour du long métrage Chien de la casse
- Vidéos du making of du tournage de Chien de la casse :
#1 : https://www.youtube.com/watch?v=s_MxYWIsnEw&t=118s
#2 : https://www.youtube.com/watch?v=CcsqM51TVbo
#3 : https://www.youtube.com/watch?v=FL0uYc44NgI
#4 : https://www.youtube.com/watch?v=4ynA9pgsJog
- Le site internet pédagogique sur Chien de la casse, créé à l’occasion de la programmation du film dans le dispositif Lycéens et apprentis au cinéma en Occitanie.
- Le département cinéma de l’Université de Montpellier Paul-Valéry






