Marine Durand, journaliste indépendante et membre de Fake Off, partage quelques ressources ludiques et pédagogiques pour guider les ados sur le chemin de l’esprit critique.
Par Marine Durand, journaliste et membre de l’association Fake Off
Publié le 26/10/2022, Mis à jour le 04/08/2023
Dans un contexte de circulation massive des fake news, l’éducation aux médias et à l’information (EMI) apparaît plus que jamais essentielle pour former des citoyens éclairés. Si les adolescents ne sont pas les seuls à pouvoir tirer profit de l’EMI – selon une étude américaine parue en 2019 dans la revue Science Advances, ce sont les plus de 65 ans qui partagent le plus les fausses informations – leur fréquentation des médias, même inconsciente, et leur usage des réseaux sociaux font des 12-18 ans un public privilégié. L’association Fake Off, créée en 2018 par des journalistes soucieux de lutter contre la désinformation, a déjà mené plusieurs centaines d’ateliers de production et de sensibilisation à destination des jeunes publics. Marine Durand, journaliste indépendante et membre de Fake Off, partage quelques ressources ludiques et pédagogiques pour guider les ados sur le chemin de l’esprit critique.
Cerner leurs usages des réseaux sociaux
Pour briser la glace avec un groupe ou amorcer un atelier de sensibilisation, nous avons l’habitude de proposer des activités inspirées de l’éducation populaire ou utilisées dans l’animation, qui peuvent tout à fait s’adapter à des problématiques d’EMI.
Le réseau social humain
Demander à un ado, de préférence pas trop timide, de se placer au centre de la pièce sur une ligne imaginaire, tandis que les autres participants se placent de part et d’autre de cette ligne. Tour à tour, et suivant un rythme soutenu, les participants se déplacent de l’autre côté de la ligne en énonçant ce qu’ils veulent lorsqu’ils passent devant leur camarade. Les échanges peuvent être des infos, des messes basses, des rumeurs, des compliments, des banalités, des propos complotistes… Ils peuvent être dits à haute voix, glissés dans l’oreille ou au contraire criés haut et fort. Après quelques minutes, demander à l’adolescent au centre ce qu’il a retenu et comment il se sent. Bien souvent, il n’a pas mémorisé grand-chose et se sent un peu étourdi… Puis demander au groupe ce que peut bien représenter cette mise en scène.
Cet outil permet de recréer physiquement le fonctionnement d’un réseau social : on peut tout y dire, des choses vraies et fausses, des faits, des opinions, des rumeurs, des informations qui vont intéresser le plus grand nombre et des anecdotes qui ne vont intéresser personne. Sans aucun filtre ni hiérarchisation, et avec une tendance à « noyer » le public.
Variante : la feuille blanche
Même principe que plus haut, mais avec une feuille de papier que l’on fait tourner de participant en participant, en demandant à chacun d’écrire ce qui lui passe par la tête. La feuille fonctionne de la même façon qu’un réseau social.
Dans ton téléphone
Demander aux adolescents de se présenter à travers les applications qu’ils ont sur leur téléphone, chaînes YouTube, comptes Snapchat et Instagram… Leur proposer de consulter pendant quelques minutes leurs réseaux sociaux, puis d’en retirer des informations. Les lister sur un tableau, puis se livrer à une rapide analyse : est-ce une info vérifiée, une rumeur, une anecdote, une opinion ?
Aborder les problématiques médiatiques
J’ai déjà / Je n’ai jamais
Placer dans la pièce une chaise de moins que le nombre de participants. Une personne se retrouve toujours debout au centre. Elle donne une information sur elle relative aux médias et aux réseaux sociaux : « J’ai déjà partagé une photo de quelqu’un sans demander son accord » / « J’ai déjà partagé un contenu sans l’avoir lu / écouté / visionné » / « J’ai déjà liké une publication d’un ami alors que je n’étais pas d’accord avec son contenu »… Les personnes qui sont dans le même cas se lèvent pour changer de place, mais ne peuvent pas s’asseoir sur les sièges à côté d’elles. La personne qui se retrouve sans place prend à son tour la parole et ainsi de suite.
Cette activité permet ensuite de lancer le débat sur certaines pratiques des ados.
Débat mouvant
Un classique de l’animation, à axer sur les médias et le journalisme. Les adolescents se lèvent et se positionnent dans la salle en fonction de leur adhésion à une affirmation volontairement clivante. Les médias mentent-ils ? Les Youtubeurs devraient-ils avoir une carte de presse ? Peut-on dire ce que l’on veut sur internet ?
Dans un second temps, revenir sur les arguments des uns et des autres, et attirer leur attention sur la différence entre faits et opinion.
Le portrait numérique
Aussi appelé le jeu du Tigre, du nom de ce média du milieu des années 2000 qui avait créé une rubrique « portrait Google ». Il s’agit ici de faire le portrait de son voisin ou de l’encadrant à l’aide de ce que l’on trouve comme informations sur lui sur internet.
Cet outil permet de sensibiliser à notre identité numérique, c’est-à-dire aux traces que l’on laisse sur internet, et aux différences entre l’image que l’on se crée en ligne et la réalité, à l’origine du mal-être de certains adolescents.
Média ou réseau social ?
Réaliser un rapide montage mélangeant les logos de grands médias (TF1, Le Monde, Arte, France Inter…) et des réseaux sociaux. Questionner ceux que les jeunes connaissent et utilisent, puis expliquer la différence entre ces différents supports : n’importe qui peut utiliser les RS, tout le monde ne peut pas publier sur Le Monde.fr, les journalistes doivent respecter une déontologie et recouper leurs sources, un média opère une hiérarchie des informations, tandis que sur Facebook ou Twitter, les détails de la vie de tous les jours sont au même niveau qu’une enquête qui révèle un scandale sanitaire…
Pour aller plus loin
- Visionner quelques vidéos du programme Dopamine d’Arte, qui décrypte le fonctionnement des réseaux.
- Toutes les vidéos « Les clefs des médias » développées par France Télévisions.
La chasse aux fakes news
Derrière la volonté des encadrants, enseignants ou professionnels de l’image qui souhaitent proposer des activités d’EMI, il y a souvent une inquiétude face aux pratiques des jeunes, leur crédulité face aux « informations » qui leur parviennent, leurs questionnements devant l’actualité chargée et propice à la diffusion d’infox – la crise du Covid, la guerre en Ukraine.
Définition des fake news
Une fake news, ce n’est pas une rumeur ni une erreur journalistique, c’est une information volontairement fausse/tronquée, destinée à tromper ou manipuler le public.
Une question centrale : qui parle ?
Pour aborder la question de la fiabilité d’une information, il est possible de montrer une vidéo sans aucun contexte, telle celle de ce sapeur-pompier pendant la crise du Covid, affirmant que le vaccin provoque des AVC.
Après le visionnage, demander aux participants d’expliquer s’ils croient ou non ce que dit le pompier, et lister sur un tableau leurs arguments. Lorsque nous montrons cette vidéo en intervention, ce sont souvent les mêmes arguments qui reviennent : c’est un pompier, il ne peut dire que la vérité (le poids de l’uniforme) / il est ému c’est donc qu’il dit vrai / il est ému et bafouille donc il ment / on voit qu’il sort d’un hôpital / rien ne prouve qu’il sort d’un hôpital, il ne prendrait pas le risque d’inventer…
En réalité, même si le registre de l’émotion nous porterait à croire la personne qui se filme, et à partager cette vidéo, il n’existe aucun argument concret pour le croire car on ne sait pas qui elle est, et donc qui parle.
« Qui parle ? », c’est la question centrale que doivent toujours se poser les ados (et les plus âgés d’ailleurs) face à un contenu qu’ils songent à partager. Plus largement, il faut amener les jeunes à élargir leurs questionnements :
Qui parle ? Média ou personne connue ou pas ? Quel poste occupe-t-elle ? Est-elle un.e expert.e reconnu.e du sujet ?
Sur quoi ? Sur quel support ? L’information est-elle publiée sur un média connu ? Sur les réseaux sociaux ? Sur une page privée / publique ?
D’où ça sort ? Quelles sont les sources ? Comment a-t-on obtenu ces informations ? Des sources sont-elles citées ?
Où et quand ? La date et le lieu, donc le contexte (crucial dans les détournements) sont-ils clairement indiqués ?
Comment est-ce présenté ? Discerner les faits d’une interprétation / d’une théorie possible
Pourquoi ? Quelle peut être l’intention de la personne qui propage cette infos ? Cherche-t-elle à jouer sur nos émotions ?
A savoir : Sur Twitter, une fake news est partagée 6 fois plus qu’une vraie info, notamment parce que les infox font appel à nos émotions et poussent à vouloir alerter à notre tour sur une situation.
Et pour avoir le fin mot de l’histoire, le pompier de la vidéo devenue virale était bien pompier à Lyon, mais aussi conseiller municipal sans étiquette, fermement opposé au vaccin, et il a expliqué que cette vidéo ne devait pas dépasser le cadre privé. L’hôpital Saint-Joseph-Saint-Luc a de son côté démenti les propos prêtés à une de ses infirmières.
Pour aller plus loin
Plusieurs médias pourront avoir des lectures différentes d’un même événement, ou choisir des angles opposés sans pour autant raconter n’importe quoi. Exemple avec ce petit montage qui reprend deux reportages télévisés diffusés sur France 24 et CNews, au lendemain d’une manifestation contre les violences policières emmenée par le collectif La vérité pour Adama. Le premier explique les raisons de la manifestation et donne la parole à des jeunes victimes de discriminations, le second se concentre sur les dégâts et débordements pendant la manifestation. Il est possible de montrer ces deux reportages à des jeunes sans donner de contexte, et de leur demander lequel leur semble le plus fiable. En réalité, les deux reportages respectent la déontologie journalistique, mais surtout les lignes éditoriales, assez éloignées, des deux chaines de télévision citées.
Les techniques et outils de vérification
Jeunes et encadrants doivent avoir en tête qu’il faut rester humble, et qu’il n’existe pas toujours de méthode pour vérifier de façon immédiate si une information est correcte ou non. Encourageons avant tout les ados à prendre de la distance face aux infos qui leur arrivent. Dans le doute, on ne partage pas.
J’ai lu une information sur un site que je ne connais pas :
Je vais voir la rubrique « à propos », « qui sommes-nous », ou les mentions légales. Est-ce un site d’information ? A qui appartient-il ? Est-ce un site marchand qui publie du contenu ayant l’apparence d’articles ?
Un proche m’a parlé d’un scandale / d’une rumeur étrange :
Je vais consulter les sites ou comptes spécialisés dans la vérification d’information et le débunkage de fake news – le plus souvent ce sont des rubriques dédiées dans les médias traditionnels, alimentées par des journalistes spécialement formés
- Check News (Libération)
- 28 Minutes Desintox
- Vrai ou Fake, pour l’ensemble de l’audiovisuel public
- Les Surligneurs, vérification à partir du droit, animé par des bénévoles
- AFP Factuel
- Les Vérificateurs, groupe TF1
Ces sites peuvent aussi fournir une ribambelle d’exemples de fake news à étudier, dans le cadre d’un atelier.
Je cherche à vérifier par moi-même si une photo/vidéo a été manipulée :
Deux outils de recherches d’images inversées, pour repérer la première occurrence d’une photo sur le web, et voir s’il y a eu une manipulation ou une réutilisation dans un autre contexte.
- La recherche inversée de Google Images : se rendre sur Google Images, cliquer sur l’appareil photo, puis coller le lien de l’image ou faire glisser la photo.
- TinEye : même principe
Pour les vidéos, en l’absence d’outil fiable et accessible au plus grand nombre, le fait de passer par des captures d’écran et de les soumettre à une recherche inversée peut être utile.
Pour aller plus loin
Proches de la fake news, les erreurs, les approximations, les raccourcis voire les fautes professionnelles ne sont pas rares dans les médias, loin de là. Des sites comme Acrimed, en accès libre, ou Arrêt sur images, sur abonnement, sont spécialisés dans la critique des pratiques journalistiques, et peuvent donner de la matière pour aborder la question de la concentration des médias, la censure (rarissime en France), la rapidité des chaines d’information en continu etc.