Points de vue sur l’éducation aux images
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Table ronde

Les organisations professionnelles d’auteur·rices et l’éducation aux images

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Les 18 et 19 mars 2024, le réseau des pôles régionaux d’éducation aux images et l’Acap – pôle régional image ont choisi la ville de Lille pour accueillir leur rencontre nationale annuelle, en partenariat avec le Festival Séries Mania et le CNC, autour de la thématique : créer, l’engagement des cinéastes auprès des jeunes.

Publié le 27/05/2024, Mis à jour le 27/05/2024

Comment les structures professionnelles d’auteur·rices et de cinéastes s’engagent-elles dans l’éducation aux images ? Qu’est-ce qui leur semble important à défendre ? Que mettent-elles en place ? Quelles complémentarités avec les dispositifs et les projets existants ?

Avec la participation de Marion Truchaud et Thomas Salvador pour la SRF, Nathalie Marchak pour l’ARPClément Schneider pour l’ACID, Jacques Fansten pour la SACD et Godefroy Vujicic pour Pictanovo.

Les échanges ont été introduits et animés par Jérôme Descamps, réalisateur et directeur artistique de La Pellicule ensorcelée (l’une des trois structures constituant Le Blackmaria, pôle d’éducation aux images de la région Grand Est).

 

« Ce fut une nuit d’insomnie au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, cette lourde sensation que quelque chose m’empêchait de dormir. J’avais fait une visio avec les réalisateurs de la SRF pour préparer cette table ronde, et tout tournait dans ma tête. Nous sommes ici rassemblés car au commencement, il y a une révélation. Comme toutes et tous autant que nous sommes, à un moment donné de notre enfance, à un moment donné de notre adolescence, nous avons vu une image, nous avons entendu une voix, un son, nous avons suivi une phrase qui nous a empli plus sûrement que tout ce que nous avions vu et entendu jusque-là. Nous ne savions pas que nous attendions ce moment et il est arrivé. Ce moment où notre solitude, notre incompréhension du monde, notre incapacité à trouver une place a trouvé une ou un compagnon de route.

Si je continue à arpenter pour raconter ou montrer des histoires, c’est parce que je sais qu’un enfant, un ado, un grand-père silencieux ou une mère discrète vont faire une découverte qui va leur apporter un peu de joie, un peu d’épanouissement. Malgré ce que nous subissons, nous ne devons jamais oublier cette étincelle.

Tout se vide de sa substance sous les coups du libéralisme. La communication politique est si envahissante qu’elle brouille nos certitudes et peut nous faire accepter l’inacceptable. Nous voyons nos collègues de la santé ou de l’éducation nationale souffrir et souvent je me dis : que sont mes questionnements à côté de ceux encore plus vitaux de nos estimés collègues ?

Comme eux, nous souffrons de voir la notion de service public molestée, dégradée et, pire encore, pervertie par les déconnexions des énarques, la boulimie du capital capable de nous faire croire que ce qu’ils ont à nous vendre, et nous font payer très cher, vaut mieux que nos idéaux d’équité et d’égalité. La révolution consumériste est en marche depuis bien longtemps, elle crée des dépendances factices qui favorisent notre individualisme au détriment de notre besoin vital de faire communauté. 

Nous sommes des guerriers armés de nos seules convictions pour édifier de fins barrages contre l’endormissement de la consommation culturelle. Et nous continuons à avancer car, les pieds dans le réel des salles de classes ou des fêtes, des cinémas des villes ou des champs, de projections en plein air en outils pédagogiques, nous savons que les œuvres que nous portons contiennent une étincelle pour quelques-uns de nos concitoyens et nous avons toujours l’espoir chevillé au cœur que toutes et tous pourront s’enflammer.

Nous sommes ici pour voir comment unir nos forces pour faire exister des œuvres multiples, sensibles, dérangeantes, austères, des œuvres qui grattent, qui rassurent, qui disent le monde autrement, qui disent que le flot et le flux ne sont pas tout, qu’il y a bien des chemins de traverse, des chemins pour comprendre autrement ce que nous vivons car nous savons qu’au détour d’un plan, nous pouvons voir surgir la poésie nécessaire à notre accomplissement.

Je suis volontairement lyrique, c’est ma nature, je crois en ce que je fais car je me souviens de mes étincelles et elles sont souvent venues des films. Dans ma solitude d’adolescent de Charleville-Mézières, les cinéastes ont été là, ils ne le savaient pas mais j’étais là aussi, dans le noir de la salle, ébaubi par leur travail.

Nos échanges doivent nous permettre d’écouter des expériences, d’imaginer de nouveaux dispositifs, de penser rémunérations et temps de travail des artistes, de transformer des idées en dossiers qui deviendront des CERFA. Derrière tous ces mots, n’oublions jamais qu’il y a des spectateurs qui attendent leur étincelle.

Chers cinéastes de prise de vues réelles, d’animation et de documentaires, vous faites des films pour trouver des réponses à vos interrogations, pour raconter des histoires, nous sommes des professionnels qui regardons vos films et les montrons aux spectateurs, nous ne pouvons que nous accorder.

Autour de ce cercle, je vous présente les membres des associations représentatives des cinéastes avec lesquelles nous allons nous passer le flambeau pour construire une juste alliance entre nos convictions. Prenons ce temps en commun pour imaginer un dialogue qui ne sarrêtera plus. »

Les organisations professionnelles d'auteur·rices et l’éducation aux images

© Gaël Clariana / Acap – pôle régional image 

LA SRF : Société des Réalisatrices et Réalisateurs de Films

La SRF est une association fondée le 14 juin 1968 qui se donne pour mission de « défendre les libertés artistiques, morales et les intérêts professionnels et économiques de la création cinématographique et de participer à l’élaboration de nouvelles structures du cinéma. » Comptant plus de 500 adhérent·es, la SRF défend le point de vue de tous les cinéastes – qu’iels réalisent de la fiction, du documentaire ou de l’animation, du court et/ou du long métrage.

En août 1968, dans la publication du premier  Programme d’action immédiate de la SRF, on pouvait lire : « Divertissement, culture et création vont de pair, au sein du cinéma, comme au sein de tous les arts. Penser qu’il y a deux cinémas, c’est renoncer à un cinéma vivant, comme activité du groupe social qui le fait, mais encore davantage comme moment essentiel de la vie collective. Car la culture n’est pas seulement ce qui aide l’homme à digérer le passé dans un loisir dilettante, qu’il resterait d’ailleurs à faire partager à tous ; elle est aussi ce avec quoi il se retourne vers le monde pour le changer en se changeant lui-même. »

Pour représenter la SRF :

Thomas Salvador, comédien et cinéaste, découvert incarnant un personnage poétique et décalé dans Une Rue dans sa longueur en 1999. Depuis, Thomas Salvador a réalisé au moins 6 films courts et une leçon de cinéma malicieuse pour l’émission Blow-Up sur Arte. En 2014 vient Vincent n’a pas d’écailles, premier long métrage et en 2022, La Montagne. Thomas Salvador collabore à de nombreux dispositifs d’éducation aux images.

Marion Truchaud, scénariste et réalisatrice. Elle réalise son premier court métrage Les Ours du Pouldu en 2015 puis ce sera Full Moon en 2017. Marion Truchaud anime des ateliers de cinéma notamment en direction du jeune public, intervenant régulièrement en classe ou dans les salles. Elle réfléchit à la place de ces ateliers dans son écriture filmique.

 

L’éducation aux images, un champ dont les cinéastes doivent absolument se saisir

De la Quinzaine des cinéastes à l’École de la SRF en passant par la La Cinetek, la SRF met en place des outils pour imaginer une meilleure façon de regarder et d’accompagner les films. Marion Truchaud et Thomas Salvador font partie du groupe de réflexion sur l’éducation aux images, récemment lancé par l’association, à l’initiative également de Pierre le Gall. Consécutivement à la crise du COVID, la question de l’éducation aux images est en effet apparue lors d’une AG de la SRF comme un champ dont il fallait absolument se saisir en tant que collectif de cinéastes, notamment face à la concurrence de toutes les plateformes, à la désertion des salles, aux contenus venant des réseaux sociaux…

Marion Truchaud souligne le fait que l’éducation au images a été primordiale dans sa construction en tant que cinéaste autodidacte. Au contact des jeunes, elle a beaucoup appris. Même si l’idée de faire de l’éducation au images est d’abord venue d’une contrainte économique, elle précise : « En me posant la question  – comment gagner ma vie ?- , je suis venue rapidement vers l’éducation aux images car la transmission et la formation m’intéressaient déjà depuis longtemps. »

Le groupe de réflexion de la SRF rassemble des cinéastes, encore peu nombreux·euses, qui ont pour la plupart déjà participé à des projets d’éducation aux images.

Comment inciter plus de cinéastes à s’y engager et les convaincre de l’importance de l’éducation aux images ? Qu’est-ce que la SRF peut apporter en tant que centre de ressources et de partages d’expériences, notamment autour de la diffusion et de l’accompagnement des films ?

Thomas Salvador cite les projets déjà été initiés dans ce sens par la SRF : La Quinzaine en Actions, les rencontres et les ateliers en direction du jeune public pendant le Festival du cinéma de Brive, l’Ecole de la SRF, le nouveau programme de parrainage/marrainage pour les jeunes adhérent·es « court-métragistes »…

L’objectif est d’élargir ce champ d’actions au-delà de celles et ceux qui sont déjà engagé·es dans un devenir de cinéastes.

 

En savoir plus sur LA SRF

L’ARP : la Société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs

Fondée en 1987 à l’initiative du cinéaste et producteur Claude Berri, l’ARP, réunit plus de 200 cinéastes qui réfléchissent au processus créatif des films (écriture, réalisation et production) et participent aux grandes négociations sur l’avenir du cinéma et sa régulation sur le plan national et européen. L’ARP est aussi un Organisme de Gestion Collective, qui perçoit et répartit les ressources liées à la copie privée de ses membres pour leur activité de producteur·rice et d’auteur·rice. Cette gestion lui permet de soutenir de nombreuses actions culturelles.

Pour représenter l’ARP, Nathalie Marchak : comédienne, cinéaste et scénariste, ayant étudié l’art dramatique et la mise en scène à New-York. Elle réalise son premier long métrage Par Instinct en 2017, puis la série Les Siffleurs en 2023. En 2020, elle participe au documentaire Pygmalionnes de Quentin Delcourt qui donne la parole à 11 femmes professionnelles du cinéma. Nathalie Marchak fait partie du collectif 50/50 et occupe la place de Vice-Présidente de l’ARP depuis 2018.

 

Présenter un cinéma pluriel, libre et indépendant

Nathalie Marchak rappelle tout d’abord que l’un des membres fondateurs de l’ARP, Costa-Gavras, a été l’un des fers de lance de la naissance du dispositif d’éducation aux images : Collège au cinéma.

Puis, elle résume les principales actions menées par l’ARP en matière d’ éducation aux images.

Avec leur ciné-club, le Cinéma des Cinéastes et l’ARP s’associent pour défendre et faire découvrir toute la diversité et la richesse de la création cinématographique européenne. « Notre mission commune : présenter un cinéma pluriel, libre et indépendant. »  Le cinéma accueille par ailleurs les séances des 4 dispositifs de Ma classe au cinéma ainsi que les temps de formation des enseignant.es. L’ARP est également très impliqué dans le festival Jeunes étoiles de Valenciennes et participe activement à l’opération Un artiste à l’école.

L’organisation a également tissé des partenariats avec de nombreuses écoles de formation supérieure à Paris, en banlieue et en région : le cours Florent, la Fémis, l’Ésec, l’EICAR…

Pour conclure, Nathalie Marchak livre les questionnements qui, collectivement au sein de l’ARP et plus personnellement, nourrissent la réflexion sur l’éducation aux images :

« Qu’est-ce qui va faire que les jeunes vont s’approprier le cinéma ?
Comment faire renaitre le ciné-club à l’école ?
Comment aller chercher les jeunes là où ils sont pour parler de cinéma (sur Youtube par exemple) ?
Quid de l’enseignement du cinéma , comme matière à part entière, au même titre que la littérature ?
Comment y réfléchir tous ensemble et mettre nos énergies en commun sur ces sujets ? »

 

En savoir plus sur L’ARP

L’ACID :  l’Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion 

L’ACID est une association née en 1992 de la volonté de cinéastes de s’emparer des enjeux liés à la diffusion des films, à leurs inégalités d’exposition et d’accès aux programmateur·rices et spectateur·rices. Ce sont les cinéastes qui choisissent les films, en se posant toujours la question du renouvellement et de la pluralité des regards en donnant de la visibilité à des œuvres insuffisamment diffusées et en proposant une alternative à l’hyper-concentration et au regard unique.

Dans le Manifeste de 1991, il est écrit : « Il s’agit donc pour les cinéastes de résister. Résister en donnant une vraie chance à tous les films d’être vus. Les cinéastes de l’ACID ont très tôt affirmé leur souhait d’aller échanger avec les publics et revendiqué l’inscription du cinéma indépendant dans l’action culturelle de proximité. Ce sont eux·elles qui deviennent les passeurs des œuvres dans des propositions qui vont d’une section innovante au Festival de Cannes à l’Acid Pop, une université populaire se tenant dans 7 salles pilotes.

Pour représenter l’ACID, Clément Schneider, cinéaste et vice-président de l’association en 2023. Il a réalisé 5 courts métrages. Son premier long, Un violent désir de bonheur, a été sélectionné pour la sélection de l’ACID à Cannes en 2018. Puis, vient La cure en 2021 co-réalisé avec Simon Rembado. Clément Schneider anime régulièrement des ateliers de cinéma. À la MJC de Montbard, il a accompagné notamment la réalisation de deux courts métrages T’as pas de copine, miskine ! et Eva, Eva. Au générique de ces films, il n’est pas crédité comme réalisateur mais comme faisant partie du collectif Le Moulin.

 

Lutter contre le regard unique imposé par le marché

Il y a à l’ACID cette idées très forte d’une chaîne de solidarité entre cinéastes. Au cœur du projet, la question de la diffusion et de l’exploitation des films qu’il n’est pas possible de laisser aux seul·es distributeur·rices et programmateur·rices.  Aux réalisatrices et réalisateurs de s’emparer concrètement de cette question : en faisant œuvre de programmation et surtout en allant défendre les films dans les cinéma auprès des spectateur·rices.

Clément Schneider précise : « La création et l’expérience de la salle se pensent en même temps. Ce qui change radicalement la manière dont on s’empare de la diffusion.
Aller parler d’un film en salle, c’est déjà faire de l’éducation aux images. »

Au-delà de l’engagement des cinéastes dans une pratique d’atelier, la question de l’éducation aux images se pose depuis plus de 30 ans à l’ACID. Les cinéastes sont les meilleurs passeur·euses, notamment pour des œuvres dites fragiles, afin de permettre aux spectateur·rices d’avoir accès à tous les films possibles.

Ces convictions sont déclinées sur plusieurs axes et dispositifs imaginés par l’association, par exemple :

> L’Acid Pop, l’université populaire de l’ACID, un programme à la fois exigeant et accessible de masterclass autour de films soutenus. Ces séances accompagnées et événementialisées de 3h permettent de créer un vrai temps de transmission. La programmation est pensée comme une saison, ce qui favorise la fidélisation des spectateur·rices.

> Le compagnonnage entre un cinéma et un·e cinéaste  : une expérimentation qui vient tout juste d’être lancée, pour incarner davantage une salle, mettre en évidence un lien d’amitié, un attachement particulier entre un·e réalisateur·rice et une salle de cinéma. Chaque binôme va « fabriquer » sa programmation plutôt autour de films soutenus par l’ACID ou d’œuvres du répertoire.

 

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La SACD : Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques

La SACD est une société civile à but non lucratif fondée par les auteur·rices réuni·es autour de Beaumarchais en 1777. La SACD représente les auteur·rices, défend leurs droits et leur environnement professionnel et protège le droit à la création dans toute sa diversité. Pour y parvenir, elle intervient auprès des instances européennes, des pouvoirs publics, des organisations professionnelles. L’objectif : faire entendre le point de vue et la parole des auteur·rices.

Pour représenter la SACD, Jacques Fansten, scénariste et réalisateur, dont le parcours oscille entre des films pour le cinéma et pour la télévision, dont l’indispensable La Fracture du Myocarde réalisé en 1990 qui a intégré le dispositif Collèges au cinéma. En 2014, la SACD crée un « Fonds de dotation d’intérêt général » pour encadrer et mener à bien localement des expériences de création partagée. Jacques Fansten y anime l’opération Raconte-moi ta vie ! qui implique sous toutes les formes artistiques dont le cinéma, des collèges à Marseille, à Sarcelles, dans les Hauts de France, en Auvergne-Rhône-Alpes et en Nouvelle-Aquitaine.

 

Favoriser la découverte et le bonheur de créer

La SACD est avant tout une société de gestion collective des droits. Et comme Jacques Fansten le souligne : « Le fait de représenter tous les auteur·rices nous a donné une forme de responsabilité ». Il y a quelques années, cette responsabilité a amené la SACD à prolonger la réflexion et à envisager comment elle pourrait accompagner celles et ceux qui sont éloigné·es de la pratique et de la création culturelles. Cela a donné lieu, par exemple, à la mise en place en 2014 du dispositif Auteurs Solidaires qui conçoit et met en œuvre des projets au caractère philanthropique, social et culturel, menés par des auteur·rices professionnel·les et fondés sur le partage d’expériences de création.

C’est au cœur de ce dispositif qu’est née Raconte-moi ta vie !, une opération qui concerne tous les domaines artistiques, basée sur la venue d’auteur·rices en classe, pendant 1 an, avec des enseignant·es volontaires afin de mettre en commun des récits de vie, qui seront publiés et donneront lieu à une création originale : un court métrage, une mise en musique ou en voix… Comme Jacques Fansten le souligne : « Dans notre démarche, c’est cela l’essentiel. Ce n’est pas une éducation aux images, ce n’est pas une éducation au théâtre, c’est une découverte de la création. »

 

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Pictanovo, Images en Hauts-de-France

Godefroy Vujicic a un parcours incroyable. Violoncelliste émérite, il s’intéresse à la direction d’orchestre et de chœur avant de devenir en 2018 conseiller Culture, Sports et Politique de la Ville auprès de Xavier Bertrand, Président de la région Hauts-de-France. Depuis 2019, il dirige Pictanovo, qui fait de la filière Images Numériques et Industries Créatives un moteur de l’économie du territoire. À ce titre, il accompagne et co-produit sous différentes formes Cinéma/TV, Court métrage, Jeu vidéo, Animation, Documentaire, Nouveaux médias…

Pour Godefroy Vujicic, « quand on fait des films c’est pour partager une émotion, transmettre un message au plus grand nombre… ». Cette action d’accompagnement des œuvres est centrale chez Pictanovo.

 

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Les organisations professionnelles d'auteur·rices et l’éducation aux images

© Gaël Clariana / Acap – pôle régional image 

Regarder et faire : les deux mots-clefs de l’éducation aux images ?

À l’issue du tour de table, Jérôme Descamps  revient sur deux thématiques abordées par les participant·es lors de la préparation de cette table ronde : Le « Faire » et Le « Regarder » qui pourraient être les « 2 jambes de l’éducation aux images ». 

Il invite chacun·e à réagir :

« Comment se partage un film dans une salle sur un grand écran et comment échanger après ? Comment garder cet axe de partage, à l’aune de ce monde nouveau,  où nous sommes toutes et tous des consommateur·rices d’images sur nos smartphones, toutes générations confondues. Comment fait-on avec ce nouveau monde qui ne cesse de nous abreuver d’innovations technologiques ? Comment mettre à disposition tous les documents nécessaires à l’accompagnement des films (comme le font des sites de ressources tels que Nanouk, UPOPI, Le Fil des Images, le CNC… ) ? « 

 

Nathalie Marchak ajoute : il y a regarder, faire et aussi peut-être « regarder faire » : c’est à dire voir les cinéastes au travail, les écouter raconter ce qui conduit à la préparation d’un film, pour comprendre « comment on fabrique le cinéma ». Cela peut participer à créer l’étincelle dont parlait Jérôme Descamps en introduction.

Pour Jacques Fansten, « regarder » et « faire » sont indissociables : Une image, c’est  toujours le point de vue de quelqu’un qui regarde le monde. L’éducation aux images, c’est aussi se poser la question : qu’est-ce qu’une image aujourd’hui, quelle est la réalité dans les images d’aujourd’hui  ? La croyance qui veut que la réalité passe par des images est révolue. Avec l’intelligence artificielle par exemple, on ne sait plus en quoi une image est vraie. Par contre, ce que la fiction apporte aux images reste. C’est par le faire que l’on apprend le plus à être spectateur·rice. 

Thomas Salvador complète : Entre le « regarder » et le « faire », il y a la mise en scène. Lors de ses interventions en milieu scolaire, le cinéaste voit l’étincelle que suscite la mise en scène en tant qu’expression, en tant que point de vue. Des élèves, qui habituellement ne participent pas en classe, se révèlent et affinent leur regard grâce à la compréhension de la mise en scène. Thomas Salvador prend l’exemple de son expérience en tant que  parrain de Toute la lumière sur les Segpa avec l’Alhambra à Marseille, et de la projection de son film Vincent n’a pas d’écailles devant des élèves participant·es au dispositif. Il souligne avec enthousiasme la clairvoyance de ces jeunes dans l’échange qui a suivi et la pertinence des nombreuses questions posées : « Iels étaient super spectateur·rices ! Ça redonne de l’espoir (…) Avec ces 180 collégien·nes de Segpa, c’était ma plus belle séance sur ce film. »

 

Jérôme Descamps s’interroge : Est-ce que l’enthousiasme à favoriser cette expression chez les jeunes dans l’éducation aux images est partagé par tout le monde au sein de la SRF ?

Marion Truchaud précise : Au sein de la SRF, 70% des cinéastes sont émergent·es, le reste est plus aguerri. Il y a donc différentes expériences et divers points de vue sur la question de se reconnecter au terrain, d’aller à la rencontre du public dans sa diversité, dans des territoires eux aussi divers, et pas uniquement vers des spectateur·rices cinéphiles dans des grandes villes. Le groupe de travail sur l’éducation aux images effectue une démarche pédagogique en direction des cinéastes adhérent·es autour de cet engagement fort dans l’éducation aux images. Marion Truchaud pose aussi la question de la place et des moyens alloués à ces actions, notamment de la part des pouvoirs publics, pour mieux rémunérer les intervenant.es.

Selon Godefroy VUJICIC :  Vivre l’expérience immersive de la salle, de voir un film ensemble et de lâcher prise par rapport au temps est fondamentale afin de pouvoir accueillir les messages puissants portés par les auteur·rices. Selon lui, c’est l’un des enjeux de l’éducation aux images surtout par rapport aux jeunes, surexposé·es à des contenus  de plus en plus nombreux sur des laps de temps de plus en plus courts. Il en est de même pour les séries : quand on les regarde ici à Séries Mania sur grand écran avec une salle pleine, ce n’est pas la même expérience que de regarder ça à la télé, chez soi.

 

Jérôme Descamps : d’ailleurs, comment faire aujourd’hui, avec la consommation sur smartphone, alors que c’est l’expérience du « tous·toutes ensemble qui nous rassemble » ?

Cela pose une question centrale  : qu’attend-on de l’éducation aux images ?  Clément Schneider assume parfaitement ne pas être là pour être un acteur de la fabrique du spectateur de demain (…) À partir du moment où on se donne cela comme horizon, de toute façon on va échouer. D’ailleurs, quel est ce·tte spectateur·rice fantasmé·e par les cinéastes ? Clément Schneider rapporte une anecdote lors d’une projection à Mayotte devant des étudiant·es particulièrement bruyant·es. De prime abord, cette attitude lui a semblé être un signe de manque d’intérêt. Pourtant, l’échange d’après séance a révélé tout le contraire. Simplement, ce public a eu une manière différente d’accueillir le film, renforcée par un contexte socio-culturel particulier. Cela prouve qu’il faut se méfier des clichés, s’intéresser aux usages des différents publics, ne pas les mépriser. « On a des grands discours sur comment les jeunes consomment, mais en fait on ne sait pas vraiment comment iels consomment. »

Clément Schneider revient ensuite sur le rôle des intervenant·es en éducation aux images et, en complémentarité, sur la parole spécifique, singulière et légitime que peuvent porter les cinéastes, notamment pour éclairer comment les choses ont été faites en matière de cinéma. Il évoque également l’ « endroit du désir », essentiel à l’ACID : on est meilleur·es passeur·euses des films qu’on a aimés parce qu’on y a reconnu un geste de mise en scène. (…) La création nourrit la passation, la transmission, et réciproquement. »

Jacques Fansten se souvient avoir consulté, grâce à Bertrand Tavernier, une étude réalisée en 1934 par la Société des Nations sur la mauvaise influence du cinéma sur la jeunesse. Le problème identifié était que les jeunes se trouvaient rassemblé·es dans une même salle devant une image projetée « par derrière ». La solution préconisée consistait à imaginer un espace plus petit avec une image qui arriverait « de devant ». À cette époque, certains pensaient donc que le salut viendrait de la télévision ! Selon Jacques Fansten, cela peut nous appeler à un peu d’humilité, sur la façon dont on critique les habitudes des jeunes.

Nathalie Marchak souligne l’importance de ne pas faire de snobisme. On a le droit de ne pas aimer un film, d’assumer sa subjectivité. Elle est convaincue que les cinéastes ont la possibilité de donner un accès, une porte d’entrée aux œuvres . Quand on fait du cinéma, Il y a une envie naturelle pour tous les cinéastes de partager avec le public.

Cela ne semble pas si naturel pour Clément Schneider. Ce n’est pas évident pour tous les cinéastes de faire ce travail de pédagogie et de transmission autour de leurs films ou ceux des autres. Cela fait partie des difficultés prises en compte par l’ACID. Certain·es estiment que l’éducation aux images, ce n’est pas leur métier, qu’iels ne sont pas naturellement des professionnel·les de la transmission.

Thomas Salvador est d’accord avec cette dernière intervention. Il revient également sur la question de l’humilité face aux goûts et aux usages des jeunes et  sur la sacralisation de certaines œuvres. Lui-même a déjà été confronté à des enseignant·es qui refusaient que leurs élèves n’aient pas la même réception qu’eux·elles sur un film considéré comme un chef d’œuvre. Pour Thomas Salvador, il n’y a pas d’absolu. Tout ce qu’on se dit, ce n’est pas contre Tik tok, ce n’est pas contre les téléphones… ce n’est pas non plus donner aux jeunes ce qu’iels aiment… C’est proposer autre chose, déplacer un petit peu le regard, amener ailleurs (..) Si quelqu’un, après avoir vu un de mes films, n’est pas tout à fait le même, même de manière tout à fait marginale, c’est déjà une victoire »

Jacques Fansten, sur la question du « faire », estime que, dans les ateliers et dans les parcours de formation au cinéma, il faut laisser aux jeunes la liberté de réaliser des films qui leur ressemblent. Et ce n’est pas grave si c’est imparfait. « Il faut qu’iels aient été quelque part chez eux·elles et pas dans ce qu’il faut faire ».

 

Jérôme Descamps revient sur le processus de création en éducation aux images : dans les ateliers, c’est moins le résultat qui est intéressant, que le chemin, la parole sincère… Est-ce bien nécessaire d’attendre autre chose que d’avoir un vrai grand chemin de rencontre avec les jeunes ?

Avant de conclure, Jérôme Descamps laisse la parole à la salle, à Steeve Calvo (réalisateur et intervenant en éducation aux images) qui souhaite réagir aux critiques sur la manière de consommer des adolescent·es en revenant sur le flux incessant d’images et sur la notion d’arrêt sur image. Peut-être que le rôle de l’éducation aux images est d’inciter à arrêter son regard et à réfléchir, à parler de ce que l’on voit.

Nathalie Marchak s’inquiète également des dégâts que peut causer le phénomène de scroll permanent notamment sur les capacités cognitives des jeunes. L’ARP a déjà fait intervenir une neurologue sur le sujet, qui allait même plus loin en parlant des vertus de la salle de cinéma sur la thérapie de l’attention. Elle souligne l’importance du travail fait par les éducateur·rices à l’image et réaffirme la place des organisations professionnelles à leurs côtés. 

Conclusion de la table ronde

Comment faire plus et sur quels chantiers ? Cette table ronde a ouvert la voie au dialogue et à une collaboration accrue entre les organisations professionnelles présentes et  l’association du réseau des pôles régionaux d’éducation aux images. Dans une période cruciale où l’Éducation Nationale, par exemple, est à nouveau dans un grand mouvement de réforme, qui laisse moins d’espace à la formation, il s’avère plus que jamais nécessaire de prolonger ces temps de concertation et de réflexion afin de faire des propositions, de porter une parole commune.

Clément Schneider souhaite rappeler l’existence de la Fédération de l’Action Culturelle Cinématographique (FACC), qui est un outil de négociation avec les pouvoirs publics et dont le travail rejoint les réflexions partagées lors de cette table ronde.

Propos recueillis par Valérie Mocydlarz, Responsable de la mission du Pôle en Nouvelle Aquitaine pour la structure Les Yeux Verts et Coordinatrice du Fil des images.

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